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rigueur, dégénérant presque en subtilité, et à la fin une tendance à absorber la philosophie dans un acte de foi. C’est un spiritualisme raffiné, dont la science n’est que l’enveloppe, dont la morale et la religion sont le fond.

Nous avons résumé la philosophie de M. Lachelier dans cette formule : « tout est pensée ; » peut-être pourra-t-on également résumer la philosophie de M. Fouillée dans cette autre formule : « tout est liberté. » Telle paraît être du moins la tendance de son dernier ouvrage, car dans son livre sur la Philosophie de Platon il semblait avoir pris pour principe l’intelligence plus que la volonté. Il ramenait tout à l’intelligible. Le principe suprême, suivant lui, était le principe de la raison suffisante. Tout a sa raison, disait-il avec Leibniz ; tout a son idée, disait-il avec Platon. Enfin le principe de causalité lui-même n’était qu’un cas particulier du principe de raison. Dans un récent ouvrage au contraire, il semble que ce soit la volonté qui prenne la place de l’intelligence. La loi de causalité, qui n’était que conséquence, est devenue principe ; l’idée se subordonne à la liberté.

Au reste, cette prédominance de la volonté sur l’intelligence est le caractère de plusieurs philosophies récentes, et M. Fouillée nous paraît sur la pente de ces écoles. C’est par exemple la doctrine de M. Secrétan, de Lausanne, philosophe d’une haute valeur et d’une vraie originalité, qu’il est d’autant plus opportun de citer ici que sa Philosophie de la liberté, ouvrage jusqu’ici peu connu en France, commence à exercer quelque action sur notre jeunesse philosophie que. Suivant M. Secrétan, l’essence de Dieu est la liberté absolue, et tous ses attributs ne sont que les noms différens de cette liberté. Toute hardie qu’elle est, la philosophie de M. Secrétan se rattache à la tradition chrétienne, et elle est d’un caractère profondément religieux. Toute différente est une autre philosophie, qui, repose également sur le même principe, la philosophie pessimiste et misanthropique de Schopenhauer. Celui-ci subordonne également l’intelligence à la volonté, laquelle est la seule chose en soi, l’intelligence n’étant que son mode d’apparition. À cette doctrine de la volonté se rattache encore la seconde philosophie de Schelling, qui devait être, suivant lui, la partie positive de son système, la première n’en formant que la partie abstraite et négative. M. Ravaisson, dans son Rapport, semble aussi incliner à cette pensée. Si nous comprenons bien le livre de M. Fouillée, ce serait là le dernier mot de sa philosophie, car, nous l’avons dit, il fait sortir, l’intelligence de la volonté, et considère celle-ci comme un acte absolu, non déterminé, mais déterminant, qui par conséquent commande aux motifs, au lieu d’être guidé par eux.

Nous consentirions, pour notre part, à faire remonter plus haut