Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même de réalité, et ne serait que la forme vide d’une pensée. Il faut donc trouver un moyen de rendre à la fois et la pensée réelle et la réalité intelligible, en substituant à l’unité purement extérieure du mécanisme universel l’unité interne et organique d’une harmonie systématique. Sans ce principe, la pensée pourrait encore exister ; « mais cette existence purement abstraite serait pour elle un état d’évanouissement et de mort. » La loi des causes finales rend la vie à la pensée en la donnant à la nature.

Une fois en possession de ce principe, notre philosophe idéaliste prétend retrouver l’une après l’autre toutes les vérités dont il avait fait abstraction dans la première phase de ses recherches. C’est ainsi qu’il ressaisit ou croit ressaisir l’objectivité de la nature, le principe de la force, de l’activité, de la spontanéité, de la liberté, qu’il s’élève à l’âme humaine, dont il maintient à son point de vue la spiritualité. En un mot, comme il s’exprime lui-même, si le principe des causes efficientes conduit à une sorte de matérialisme idéaliste, le principe des causes finales nous ramène « au réalisme spiritualiste. » Cependant ce n’est pas encore là le dernier mot de la philosophie ; ce n’est qu’un second étage qui en appelle lui-même un troisième : « cette seconde philosophie, dit l’auteur en terminant, en subordonnant le mécanisme à la finalité, nous prépare à subordonner la finalité elle-même à un principe supérieur, et à franchir par un acte de foi morale les bornes de la pensée, en même temps que celles de la nature. » C’est au seuil de ce troisième monde, annoncé et promis d’une manière si mystérieuse, que s’arrête l’auteur. Il n’a voulu qu’expliquer la possibilité de la science ; mais il laisse entrevoir qu’au-dessus de la science il y a autre chose, à savoir la morale et la religion. Serait-ce donc que, suivant lui, la philosophie ne s’élève pas jusque-là et que tout son office n’est autre, que de préparer la pensée à l’anéantissement d’elle-même, de telle sorte qu’elle ne serait d’abord tout que pour n’être ensuite plus rien ? Nous ne pouvons le dire, l’auteur nous ayant refusé toute explication sur ce monde nouveau qu’il nous entr’ouvre sans vouloir y entrer. Sans y entrer plus que lui, et nous renfermant dans les limites qu’il a fixées, essayons de dire jusqu’où nous croyons qu’on peut le suivre dans ses spéculations séduisantes, et quelles sont les limites où la sévère raison nous force de. nous arrêter malgré lui.

Sans doute il est impossible aujourd’hui à un esprit réfléchi de ne pas tenir compte de la révolution puissante opérée par Kant en philosophie. Ou la philosophie n’est qu’un leurre, une science vaine, ou il faut que toutes les grandes phases de son développement correspondent à des acheminement vers la vérité, à des degrés de vérité. Tout grand système philosophique est une parcelle de la