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qui se poursuit autant que possible dans la même direction et avec la même vitesse, quelles que soient du reste les lois suivant lesquelles il se transforme. » L’auteur admet ainsi dans toute son étendue le principe du mécanisme cartésien, et il poursuit ce principe à tous les degrés non-seulement dans le monde inorganique, mais dans la nature organisée et vivante. Il reconnaît qu’une telle conception, si elle était exclusive, serait une sorte de « matérialisme idéaliste ; » mais il ne faut pas oublier qu’elle ne correspond qu’à une seule des lois de notre esprit, celle des lois efficientes, et qu’il reste à expliquer celle des causes finales.

Sans cette loi des causes finales, nous n’aurions, dit M. Lachelier, aucune garantie non-seulement de la conservation des espèces vivantes, mais même de la conservation des corps bruts dans leurs formes déterminées, car ces corps sont composés de corpuscules ou d’atomes qui forment toujours les mêmes combinaisons, ce qui n’est nullement impliqué dans les lois générales du mouvement. Ces petits corps ne sont eux-mêmes que des systèmes de mouvement que les lois du mécanisme sont par elles seules indifférentes à conserver ou à détruire. « Le monde d’Épicure, dit notre auteur, ne nous offre encore, avant la rencontre des atomes, qu’une faible idée du degré de dissolution où l’univers, en vertu de son propre mécanisme, pourrait être réduit d’un instant à l’autre : on se représente encore des cubes ou des sphères tombant dans le vide, mais on ne se représente pas cette sorte de poussière infinitésimale sans figure, sans couleur, sans propriété appréciable par une sensation quelconque. Une telle hypothèse nous paraît monstrueuse, et nous sommes persuadés qu’il restera toujours une certaine harmonie, au moins entre les élémens de l’univers ; mais d’où le saurions-nous, si nous n’admettions a priori que cette harmonie est en quelque sorte l’intérêt suprême de la nature, et que les causes dont elle semble le résultat nécessaire ne sont que des moyens sagement concertés pour l’établir ? » La loi des causes finales est donc aussi essentielle à l’intelligence de la nature que la loi des causes efficientes.

Quelle est la raison de cette seconde loi ? L’auteur se sert encore ici du même principe que précédemment, à savoir le besoin de l’unité de la pensée ; mais il s’agit ici d’une unité d’une autre espèce. La première n’est en réalité qu’une unité superficielle et extérieure. Qu’est-ce en effet que le mouvement ? Ce n’est autre chose que la possibilité de passer sans interruption d’une place à une autre dans l’espace et dans le temps. C’est une unité vide et sans réalité intrinsèque. Une pensée qui reposerait uniquement sur l’unité mécanise de la nature glisserait à la surface des choses sans pénétrer dans les choses elles-mêmes. Étrangère à la réalité, elle manquerait