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l’école allemande, de plus en plus exagéré par la gauche hégélienne, elle se circonscrivit dans les limites d’un spiritualisme sage et correct, se mettant d’accord le plus possible avec le sens commun et les croyances de la religion naturelle. C’est vers ce temps qu’elle laissa tomber en désuétude son nom primitif d’école éclectique pour prendre le nom et porter le drapeau de l’école spiritualiste.

Cependant un fait nouveau et important allait donner à cette école un caractère plus sévèrement philosophique et lui fournir une base plus solide que ne l’étaient les principes un peu vagues de l’éclectisme : ce fut la découverte et la publication des écrits de Maine de Biran. L’idée fondamentale de ce grand penseur est que l’âme n’a pas seulement conscience des phénomènes qui se passent en elle, mais qu’elle a conscience d’elle-même considérée comme force, c’est-à-dire qu’elle sent en elle-même un pouvoir supérieur aux phénomènes et capable de les produire, un pouvoir qui subsiste un et identique à lui-même dans la variabilité de ses effets. Dans cette idée, l’école spiritualiste crut trouver un principe qui lui permettait d’échapper à la fois à l’empirisme et au panthéisme, — à l’empirisme ; puisque la conscience atteignait quelque chose au-delà des phénomènes, — au panthéisme, puisque la conscience d’une force individuelle et personnelle ne semblait pas pouvoir se concilier avec l’unité de substance. Telle était l’idée, que M. Félix Ravaisson exprimait ici même dans un travail sur M. Hamilton[1], que M. Vacherot développait dans un mémorable article du Dictionnaire des sciences philosophiques. Telle fut l’idée qui fit le fonds de l’enseignement philosophique de l’École normale depuis 1840 jusqu’à nos jours. C’est une erreur commise par M. Sainte-Beuve, ordinairement si bien informé, d’avoir cru que l’influence de Biran était toute récente dans l’Université. Rien de moins exact. Le dynamisme leibnizien et biranien a été, je le répète, toute la philosophie universitaire à partir de 1840. L’enseignement d’Émile Saisset à l’École normale était essentiellement biranien, et sous son influence la philosophie de Leibniz prévalait sur celle de Descartes[2]. Aux yeux du public mal informé, Saisset n’était autre chose que le disciple le plus fidèle de M. Cousin. En réalité, avec une circonspection trop étudiée, qui était le caractère et le défaut de son

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1840.
  2. Dans cet ordre d’idées, nous devons signaler le remarquable ouvrage la Science et la nature, dans lequel l’auteur, M. Magy, l’un des élèves d’Émile Saisset, a développé avec une rare originalité le point de vue du dynamisme. Ce travail à lui seul mériterait un examen spécial. Nous ne l’avons pas compris ici dans notre étude, parce qu’il n’appartient par aucun côté ni par aucun lien au groupe que nous voulions faire connaître.