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tenir compte. Si l’Allemagne ne respecte pas les lois impérieuses que lui fait sa situation bien comprise, si des intelligences téméraires veulent, soit au profit de la Prusse, soit pour la gloire des Habsbourg, violer les droits vivans et ressusciter ce qui est mort, il n’y aura que troubles, anarchie, créations impuissantes… » Voilà ce que nous écrivions ici même le 15 avril 1851 dans une étude sur le général de Radowitz. Les événemens n’ont que trop justifié nos paroles ; on a vu si nous avions eu raison de dire que l’Autriche abusait de sa victoire et que la défaite de la Prusse laissait sa puissance intacte, en y ajoutant la force des ressentimens populaires.

Cependant nous ne savions pas encore à cette date quels projets de revanche concevaient déjà les esprits irrités. Voici un de ces projets qui, comme cri de haine et aussi comme preuve de génie politique, est complet de tout point. L’auteur, M. le comte Albert de Pourtalès, était alors envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Frédéric-Guillaume IV auprès de la Porte ottomane. C’était un collègue de M. de Bunsen, et un collègue qui partageait tous ses sentimens sur la question allemande. De Constantinople à Londres, ils se sont confié leurs douleurs pendant l’année 1850 ; à la nouvelle de la convention d’Olmutz, M. de Pourtalès écrit à M. de Bunsen cette page extraordinaire que le traduis littéralement :


« Constantinople, 18 janvier 1851.

« Si je suis plein d’amertume contre Radowitz, très honorable ami, je n’ai point de termes pour exprimer mon indignation contre Manteuffel, car malgré Haugwitz, malgré George-Guillaume, malgré Tilsitt, notre histoire n’offre rien, à mon avis, qui puisse être comparé à la défaite d’Olmutz. Réunir les chambres et l’armée au roulement du tambour pour recevoir un soufflet en cérémonie de gala ! Jouer avec les souvenirs de 1813, et jouer quel jeu ! Parler des concessions de l’Autriche, parce qu’auprès du bourreau Rechberg on nous permet de placer un valet de bourreau, parce qu’on nous permet aussi de nous traîner sournoisement vers le Holstein, comme des complices ou des receleurs ! Être obligés de publier nous-mêmes notre honte, notre ignominie, au son des trompettes, au bruit des timbales, avec protocoles et documens ! Tout cela est si douloureux, j’en ai le cœur si déchiré, si écrasé, que je ne trouve pas d’expressions pour le dire.

« Mais aide-toi, le ciel t’aidera ! Nous ne pouvons pas demander que les autres agissent pour nous, si nous-mêmes nous ne faisons rien. Si mauvaise, si honteuse que soit notre situation présente, il y a pourtant un fait que ni la lâcheté, ni la trahison ne peuvent détruire, c’est que l’Allemagne a un avenir et que la Prusse est appelée to take the lead. L’histoire des dernières années prouve que la force des circonstances nous rend toujours cette hégémonie que nous refusons si souvent et si