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de Fulda et de Gelnhausen. Maintenant, je le crains, nous sommes placés entre les cours, qui toutes nous sont hostiles, et les peuples, qui ont perdu confiance en nous. J’ai écrit tout cela ouvertement et sans rien ménager. Si vous me demandez ce qu’il faut attendre de l’Angleterre, je réponds : tout ou rien, selon les circonstances. Par malheur, personne ne croit ici à une résolution sérieuse du gouvernement prussien ; on nous regarde non-seulement comme des gens abattus, humiliés, mais comme des politiques sans foi qui veulent s’agrandir par des intrigues. »


C’est à M. de Camphausen, ancien ministre des affaires étrangères, que M. de Bunsen écrivait de Londres en ces termes le 2 novembre 1850, le jour même où M. de Radowitz exposait son programme à Berlin et demandait au roi de mobiliser l’armée. On a vu que le lendemain Frédéric-Guillaume IV, reculant toujours devant le prince de Schwarzenberg, sacrifiait son ministre, et quel ministre ? un autre Bunsen, ou, pour parler plus exactement, un Bunsen plus tendre, plus aimé, un Bunsen catholique dont les pensées répondaient mieux encore à l’imagination du roi. M. de Bunsen lui-même, qui aurait pu être jaloux de l’affection de Frédéric-Guillaume IV pour M. de Radowitz, avait été séduit par tant de grâce et de noblesse ; il l’appelait un caractère, un génie. Le lendemain de la chute de Radowitz, M. de Camphausen répond en ces termes à la lettre que nous venons de traduire :


« Depuis le jour où vous m’écriviez, cherchant encore le moyen de détourner le coup qui nous menaçait, le coup a été porté. Un grand état, aussi puissant que pas un autre en Europe, sans embarras intérieur, appuyé sur l’esprit de la nation ; avec des finances bien ordonnées, lèche la poussière des pieds de son adversaire sans faire seulement une tentative de résistance, et cela sur une simple menace de guerre que des ennemis fanfarons, l’angoisse au cœur, ont proférée avec fracas. »


Il nous serait facile de multiplier ces citations et de montrer par tout un concert de plaintes, de clameurs, de protestations indignées, combien ces humiliations de 1850 furent ressenties, non-seulement en Prusse, mais dans une grande partie de l’Allemagne. Les mémoires de Bunsen sont remplis sur ce point des documens les plus expressifs. Restons-en là ; ces exemples suffisent. Ce ne sont pas les premiers venus que nous venons d’entendre. Quand des hommes graves et circonspects, un ambassadeur, un ancien ministre, se permettent un pareil langage, on peut deviner ce que pense le pays tout entier.

Pourquoi n’a-t-on pas soupçonné la force que des ressentimens