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établie en Allemagne, ferme attitude en face de l’Autriche et de la Russie dans la question des duchés comme dans la question de l’unité germanique, et d’une manière générale ferme attitude en face de toute la diplomatie, de tous les faiseurs de protocoles. Radowitz a un esprit aiguisé, il a de la tenue, il est habile. Ajoutez à cela que, jusqu’au milieu de l’année 1848, il était l’idole des deux cabinets impériaux. Enfin c’est un orateur qui sait se faire écouter des chambres, et il faudra bien que les chambres soient réunies au mois de novembre prochain. » Radowitz, à qui Bunsen avait adressé ses encouragemens et ses vœux, lui répond avec dignité, avec noblesse, mais aussi avec un profond sentiment de son impuissance. « A l’envoi que je vous fais aujourd’hui, très honorable ami, je joins deux mots de vive reconnaissance pour votre bienveillant post-scriptum. Si vous pensez que mon acquiescement aux ordres du roi et du ministère a dû me coûter beaucoup, vous avez parfaitement raison. On m’a demandé de sortir de l’ombre à l’heure des crises décisives ; à une exigence si légitime, je n’ai aucune objection à faire, mais je connais les contradictions qui m’entourent, je sais de quel poids elles pèsent, et je ne me fais aucune illusion ; il n’y a pas la moindre vraisemblance que je puisse réaliser mes plans. Seulement soyez assuré de ceci : je resterai à ce poste juste aussi longtemps que je n’aurai pas à renier les convictions de ma conscience en ce que réclament l’honneur et la mission politique de la Prusse. Beaucoup de bonnes choses ont dû être laissées de côté ; sur ce point l’avenir seul verra clair ; j’affirme du moins qu’à l’abri de mon nom rien de mauvais n’arrivera[1]. »

Cette espèce de résignation mélancolique, unie d’ailleurs à la fierté du soldat, n’est pas seulement un trait de caractère à noter chez M. de Radowitz ; les paroles que nous venons de citer résument et peignent la situation. M. de Radowitz connaissait les indécisions du roi son maître, il savait aussi à quel jouteur il avait affaire. Ce terrible Schwarzenberg semblait impatient d’en appeler aux armes. Aux démarches les plus conciliantes de la Prusse, il répondait depuis trois mois par des exigences hautaines. Le jour où Frédéric-Guillaume IV, en changeant son ministre des affaires étrangères, parut accepter les défis du cabinet autrichien, il fallut que la réplique fût éclatante. C’est le 26 septembre que M. de Radowitz était devenu ministre ; quinze jours après, le prince de Schwarzenberg ménageait au jeune empereur d’Autriche une entrevue avec les rois de Bavière et de Wurtemberg. C’était à Bregenz, sur les bords du lac de Constance, à l’entrée du Vorarlberg. François-Joseph offrit un dîner à ses hôtes ; à la fin du repas, le roi de Bavière porta un

  1. J’emprunte ces deux lettres aux Mémoires de M. de Bunsen. Voyez l’édition allemande, t. III, p. 144-145.