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par M. Ledru-Rollin. On sait avec quelle énergie le général Changarnier écrasa l’émeute ; ce qu’on ne sait pas aussi bien, c’est qu’en sauvant l’ordre à Paris il bouleversa du même coup la conspiration européenne, et du jour au lendemain changea la face des choses. De son observatoire de Londres, le baron de Bunsen, attentif à ces commotions où était engagée la cause de l’unité allemande, résume ainsi la situation générale :


« Le grand événement européen de ces derniers jours, la défaite de la révolution à Paris, à Lyon, et en d’autres villes, du 13 au 15 juin, n’a pas tardé à développer ses prodigieuses conséquences[1]. Tout le réseau de la conspiration républicaine fut mis à nu et déchiré. Beaucoup d’espérances, les unes bonnes, les autres coupables, s’évanouirent ; beaucoup d’angoisses se tournèrent en espérances ; il devint de plus en plus manifeste que le flot du temps retournait en arrière, que le reflux commençait, et que désormais le sort des gouvernemens était dans leurs propres mains ; il dépendait d’eux de se sauver ou de se perdre. La conspiration de Bade et du Palatinat devait frayer la route à une révolution en France. La république rhénane eût été l’appât à l’aide duquel le parti de Ledru-Rollin se serait emparé d’une nouvelle confédération du Rhin. Rome, Ancône, Venise, par le seul fait du triomphe de l’insurrection en France, eussent été dégagées de l’étreinte des assiégeans. Les Hongrois se préparaient à faire irruption sur Vienne par Œdenbourg et Presbourg ou à se jeter sur Fiume par Agram. Tout changea de face, et ce fut le contraire qui arriva. Le 14 juin, le prince de Prusse entra dans le Palatinat ; le dimanche 22, à onze heures du matin, la brave garnison de Landau, réduite à la dernière extrémité par le siège qu’elle soutenait, eut la joie d’entendre retentir les trompettes de l’avant-garde prussienne. Le 1er juillet le prince était devant Rastadt, après une série de combats acharnés et sanglans. En même temps, du 19 au 26 juin, les Hongrois étaient rejetés derrière la Waag et chassés de Raab, tandis que le quartier-général russe datait ses ordres de Kaschau et que le ban Jellacic, après avoir repoussé l’armée hongroise du sud, bloquait de nouveau Peterwardein. En Italie, Ancône s’était rendue aux Autrichiens ; Oudinot pénétra dans Rome le 22 juin par la brèche du Janicule, et le 2 juillet la municipalité romaine demanda à capituler. La prise de Venise était annoncée avec certitude pour la fin de la semaine… »


On comprend le sentiment de tristesse qui perce çà et là dans le langage de Bunsen. Quand il parle des espérances qui s’évanouirent et qui n’étaient pas toutes condamnables, il ne pense pas seulement à Venise, il pense à son rêve de l’unité allemande, à cette unité

  1. « Seine ungeheuern Folgori. » Voyez dans les Mémoires de Bunsen le passage intitulé Gedanken und Erlebnisse von 18 juni 1849 an, t. III, p. 4.