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obligé de recourir à l’intervention armée du gouvernement jurassien, qui saisit cette occasion d’entraîner le grand-duché de Bade dans le Sonderbund princier qu’il prépare. Pendant que l’affaire se négocie, l’insurrection grandit sur les deux rives du Rhin. Le soir même où le souverain s’est enfui de Carlsruhe, M. Brentano s’y empare du pouvoir comme président d’une commission exécutive. Les deux chambres sont dissoutes, une assemblée constituante est convoquée pour le 10 juin, tous les citoyens de dix-huit à trente ans sont appelés sous les drapeaux ; des commissaires civils et militaires sont chargés de distribuer des armes et d’entretenir la flamme de la révolution : tâche douloureuse pour qui aurait eu la naïveté de la prendre au sérieux. Les grandes idées, les inspirations nationales, dit un historien allemand déjà cité plus haut, sont remplacées chez ces misérables par de copieuses libations alcooliques. Voici une idée pourtant : ils ont conçu le plan d’une fédération révolutionnaire. Bade et le Palatinat, par l’entremise de leurs démagogues, concluent une alliance offensive et défensive. Ils essaient ensuite de soulever les états voisins, la Hesse-Darmstadt et le Wurtemberg. L’entreprise échoue à Darmstadt, grâce à la bonne attitude des troupes ; le meurtre d’un magistrat qui s’efforçait d’apaiser l’émeute leur inspira une horreur qui les maintint dans le devoir. Dans le Wurtemberg, les dernières convulsions du parlement transporté de Francfort à Stuttgart imprimèrent à la lutte un caractère plus grave ; les esprits les plus libéraux, ceux-là même qui avaient le plus contribué l’année précédente à la convocation du parlement, comprirent la nécessité de le dissoudre lorsqu’il devint une cause de guerre civile, et s’y employèrent énergiquement. Grâce à ce renfort inattendu, la cause de l’ordre fut sauvée, et la démagogie n’osa pas lever la tête. Le mouvement révolutionnaire était concentré dans le double foyer de Bade et du Palatinat.

Il semble bien que ce mouvement était dirigé par les chefs de la révolution cosmopolite. L’armée révoltée du grand-duché, placée d’abord sous les ordres d’un simple lieutenant nommé Sigel, eut bientôt pour chef le Polonais Mieroslawski. Ce fut aussi un Polonais, le général Sznayde, que les démagogues du Palatinat mirent à la tête de leurs troupes. Un vaste plan reliait toutes les entreprises de la révolution dans le centre de l’Europe. Les événemens de Bade et du Palatinat avaient préparé l’insurrection du 13 juin à Paris, et cette insurrection à son tour, si elle eût triomphé, aurait mis le feu de l’ouest à l’est à une longue traînée de poudre. Le contre-coup en eût retenti jusqu’en Sicile, jusqu’en Hongrie, et il en serait sorti des conséquences qui échappent à tous les calculs. L’émeute éclata en effet à Paris dans la journée du 13 juin 1849 ; l’occasion ou le prétexte fut la campagne de Borne et l’interpellation faite à ce sujet