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prince Albert lui avait déplu. « Je trouve cela peu convenable, » avait-elle dit à lord Palmerston. Elle avait même ajouté que les intérêts des Saxes ducales lui paraîtraient bien plus sûrement garantis par l’établissement de l’unité allemande. Lord Palmerston répondit simplement que les chargés d’affaires anglais avaient le droit d’exprimer leur opinion politique sur les choses qui leur semblaient un danger pour la dynastie. On voit par ces détails que la reine et le ministère n’étaient pas animés des mêmes dispositions au sujet de l’unité allemande. La reine, sous l’influence du prince Albert, se montrait sympathique aux efforts des partisans de l’unité ; les ministres, à l’exception de Robert Peel, traitaient cette politique avec dédain, n’y voyant que rêveries, chimères et dangers pour tout le monde. M. de Bunsen, blessé chaque jour par le dédain des ministres, avait recueilli avec empressement cette parole de la reine, et il est tout naturel qu’il ait voulu la transmettre à Frédéric-Guillaume IV. A part cet incident, il est bien décidé à ne plus lui écrire. Que servirait de répéter toujours sa vieille chanson ! Le roi a refusé hier la couronne impériale, offerte par les représentans du pays ; il la demande aujourd’hui à des princes qui ont tous intérêt à le tromper. Ce qui va se passer ne sera qu’une succession de cérémonies vaines et de solennelles duperies.

Le roi non plus n’éprouve aucun besoin d’écrire à son ami. L’affection subsiste toujours, la confiance a disparu, — la confiance politique s’entend, celle qui permet à deux esprits de se communiquer toutes leurs pensées, de se conseiller, de se concerter, parce qu’ils poursuivent le même but et cherchent ensemble les voies les plus sûres. Le même but, ils le poursuivent toujours, mais ils sont engagés l’un et l’autre en des voies si contraires que sur cette question de l’unité allemande ils ne pourront plus se rencontrer. La correspondance de Frédéric-Guillaume IV et de Bunsen, qui va recommencer bientôt très vive, très intéressante, à l’occasion de la guerre de Crimée, subit ici une interruption de deux ans. Est-ce une raison pour nous arrêter, et sommes-nous tellement liés par le titre de cette étude qu’il faille sauter par-dessus toute une période afin d’aller retrouver nos deux interlocuteurs ? Assurément non. Cette lacune même est un fait très significatif, et notre tableau serait incomplet, si nous cherchions à la dissimuler. D’ailleurs les mémoires de Bunsen nous tiennent lieu de ses lettres, et si nous avons le regret de ne pas posséder cette fois l’expression directe et familière des idées de Frédéric-Guillaume IV, nous la retrouvons du moins dans le langage d’un autre conseiller qui va être, durant l’éclipse de M. de Bunsen, l’interprète éclatant du roi de Prusse.

Cet ami, ce confident qui pendant plusieurs années remplacera le