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d’Erfeuil la France, et pour combattre les préjugés de ces deux maîtresses nations, si fortes et toujours si contentes d’elles-mêmes, ce n’est certes point trop de la grande inspirée. Corinne met à cette lutte tout son talent, toute son âme ; ne s’agit-il pas du bonheur de son existence, ne lui faut-il pas convaincre Oswald qu’il peut vivre « heureux auprès d’elle, auprès d’une femme dont les mœurs indépendantes sont en un tel désaccord avec les convenances britanniques ? « Il n’y a que deux classes d’hommes distinctes sur la terre, celle qui sent l’enthousiasme et celle qui le méprise ; toutes les autres différences sont le travail de la société. Cher Oswald, laissez-nous donc tout confondre : amour, religion, génie, et le soleil et les parfums, et la musique et la poésie. Il n’y a d’athéisme que dans la froideur, l’égoïsme, la bassesse. Jésus-Christ a dit : Quand deux ou trois seront rassemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux, — et qu’est-ce, ô mon Dieu, que d’être rassemblés en votre nom, si ce n’est jouir des dons sublimes de votre belle nature, et vous en faire hommage, et vous remercier de la vie, et vous en remercier surtout quand un cœur aussi créé par vous répond tout entier au nôtre ? » Ainsi parle l’improvisatrice du cap Misène au milieu d’un paysage volcanique en harmonie avec son âme de feu. Le golfe de Naples et sa mer d’azur, Sorrente et Nisida, quel spectacle ! Caprée, le lac d’Averne, quels souvenirs ! Penser que dans ce paradis terrestre les anciens plaçaient leurs enfers ! Partout l’abondance et la flamme ; à côté de la Solfatare qui bout et fume, de vastes champs rouges de coquelicots où vous avez de l’herbe jusqu’aux genoux, une végétation qui semble poussée en une nuit et des parfums inconnus aux pays du nord, une symphonie de plantes aromatiques dont les émanations vous enivrent. « La campagne de Naples est l’image des passions humaines ; sulfureuse et féconde, ses dangers et ses plaisirs semblent naître de ces volcans enflammés qui donnent à l’air tant de charmes et font gronder la foudre sous nos pas. » La mise en scène est digne ici des personnages. Depuis Rousseau, nous voyons les grands types s’encadrer pittoresquement dans le milieu qui leur convient : Saint-Preux a son lac de Genève, René sa forêt vierge, Corinne a l’Italie, Rome d’abord. Une histoire d’amour avec la ville éternelle pour décor principal, et pour changemens à vue Naples et Florence, tel est ce livre. Le lac Némée l’emporte cette fois sur le ruisseau de la rue du Bac. Rome, ses horizons, ses marbres, ses annales, interviennent et forcément se mêlent à l’action. Les grandes pensées et les sentimens élevés sont partout à leur place, mais toutes ces belles choses empruntent à la circonstance un surcroît d’intérêt. Ne s’agit-il pas pour Corinne de prolonger le séjour de son amant, d’empêcher son retour dans cette Angleterre dont elle a