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glorieuse ; elle n’a point oublié ses hardis navigateurs, les prouesses de ses aventuriers, ses guerres maritimes contre les pirates de la Corse et des Baléares, ni ses audacieuses insurrections, ni sa fierté, qui obligeait ses maîtres d’un jour à compter avec elle. Les Catalans se chargent de prouver par leur exemple que l’industrie et le travail ne tuent point l’inquiétude de l’imagination, et qu’on peut concilier le génie du négoce avec le romantisme des souvenirs. Au surplus Barcelone n’a jamais aimé Madrid. La cité laborieuse et commerçante, qui se plaît au bruit des machines et au cri de la grue chargeant ou déchargeant des ballots, nourrit un superbe mépris pour la villa coronada, centre d’oisifs, de beaux parleurs et de toute la race qui émarge au budget. Raisonnemens et préjugés, tout dispose la Catalogne à relâcher les liens qui l’unissent à la patrie commune et à conquérir une demi-indépendance.

Pourtant on peut affirmer que l’accomplissement de ses rêves lui serait funeste. Sans compter qu’elle fournit aux administrations centrales plus d’employés qu’aucune autre partie de la Péninsule, et que l’ambition de ses fils, seuls Espagnols qui portent l’esprit des affaires dans la politique, se trouverait fort dépourvue si l’Espagne venait à n’avoir plus de capitale, il n’est pas de province dont la prospérité soit plus intéressée au maintien du statu quo. À la rigueur l’Espagne pourrait se passer de la Catalogne, mais la Catalogne ne peut se passer de l’Espagne, qui est son marché. Elle estime que la liberté commerciale ruinerait ses industries, qui ne peuvent soutenir la concurrence avec l’étranger. Que deviendraient ses soieries, ses tissus de laine, ses draps, ses toiles et ses dentelles, si l’Andalousie, s’érigeant en canton libre, s’avisait d’abolir ses douanes et de proclamer la franchise de ses ports ? Les habitans de Malaga regardent un douanier du même œil qu’un vieux Turc considère un chrétien, et, si on les écoutait, les droits d’entrée seraient depuis longtemps supprimés. Comme eux, tous les districts agricoles de la Péninsule tiennent pour le libre échange. Seule, la Catalogne voit son salut dans la protection et l’impose au reste du pays. Elle a contribué plus que personne à renverser en 1843 le duc de la Victoire, parce qu’il écoutait l’Angleterre, qui allait signer avec lui un traité de commerce. Si le général Prim, au temps de sa puissance, ferma l’oreille à de semblables ouvertures, ce fut par ménagement pour ses compatriotes, dont il redoutait le chagrin et les colères. Il n’en est pas moins vrai qu’au mépris de ses plus chers intérêts Barcelone a été le berceau du fédéralisme, et le gouvernement provisoire put craindre plus d’une fois qu’irritée des lenteurs qu’on apportait à consacrer définitivement et le mot et la chose, elle ne fît un coup de tête, elle ne s’arrogeât le droit de sécession, quitte à