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demandé la suppression des armées permanentes et de la conscription, et le plus urgent de leurs besoins était d’avoir une armée qui tint le carlisme en échec ; force leur était de ne se plus souvenir qu’ils avaient promis de la licencier. L’indiscipline du soldat, en Catalogne surtout, les inquiétait, et ils s’efforçaient d’y remédier ; on leur représentait qu’ils avaient protesté cent fois contre les rigueurs du code militaire. Ils éprouvaient le besoin de faire un exemple en châtiant avec la dernière sévérité d’odieux attentats qui s’étaient commis dans les provinces ; on les priait de ne pas oublier qu’ils avaient souvent réclamé l’abolition de la peine de mort. Ils se montraient disposés à répudier certaines théories compromettantes pour la cause républicaine ; n’avaient-ils donc pas annoncé que l’avènement de la république serait l’avènement du quart-état, formule qui n’a point de sens, si elle ne signifie que, comme autrefois la révolution française détruisit les privilèges de la noblesse, il appartenait à la révolution espagnole de détruire ceux de la bourgeoisie, laquelle n’en a pas d’autre que le droit de disposer à son gré de ses capitaux ? Les socialistes les plus avancés ne demandaient pas autre chose, et pour se dérober à leurs sommations on se jetait dans des distinguo que ne comprennent pas les appétits.

Parmi les opinions embrassées auparavant par les ministres de la république, il en était une qui, sans qu’il y parût, leur causait les plus vives perplexités. Ils avaient toujours déclaré que la forme de gouvernement qui convenait à l’Espagne était non-seulement la république, mais la république fédérale, et jamais on n’a si bien vu tout le mal qu’un adjectif peut faire à un pays. Celui-ci a failli consommer la perte de l’Espagne ; il a provoqué les troubles et l’anarchie d’où elle a tant de peine à sortir ; on peut mettre à sa charge des incendies, des massacres, l’iliade et l’odyssée du général Contreras.

On a dit que le fédéralisme était une chimère de Proudhon traduite en castillan par M. Pi y Margall. Les songes qui s’emparent de l’imagination de tout un peuple n’ont pas une origine si littéraire ; ils n’éclosent pas dans le cabinet d’un penseur. La république fédérale est l’invention collective des Catalans, qui ont fourni à l’Espagne beaucoup d’hommes d’état et tiennent dans la Péninsule école de politique avec l’esprit de suite particulier à leur race, laquelle au rebours des Andaloux joint l’obstination à l’enthousiasme. La Catalogne a manifesté plus d’une fois des tendances séparatistes. Comme les provinces basques, elle s’est refusée jusqu’à présent à parler l’espagnol ; elle a son idiome propre, très semblable à l’ancien provençal et qui est beaucoup mieux compris à Toulouse qu’à Madrid. Pendant des siècles, elle a mené une existence indépendante et