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menaces, organisaient des meetings et des processions qui déléguaient des orateurs au gouvernement. Celui-ci avait pris le parti de recevoir tout le monde, de donner audience à tout le monde, de raisonner avec tout le monde, sans se fâcher ni trop s’engager. Il accueillait même une députation de femmes qui, drapeaux en tête, venaient réclamer une amnistie complète pour tous les délits de droit commun ; elles exigeaient qu’on ouvrît toutes grandes les portes de toutes les prisons de l’Espagne. La liberté, telle qu’elles l’entendaient, était l’élargissement universel ; — que si l’on objectait qu’il fallait pourtant que les prisons servissent à quelque chose, quoi de plus simple que d’y fourrer les honnêtes gens ? C’eût été le suprême triomphe de l’égalité bien comprise. L’un des étendards arborés par les pétitionnaires portait cette inscription : grâce pour nos pères et nos maris ! Le ministre leur expliqua qu’il était désolé de ne pouvoir les contenter, et il mit tant de courtoisie dans ses explications qu’elles promirent que leurs maris et leurs pères patienteraient un peu dans l’espérance de temps meilleurs.

C’étaient les ministres surtout qui avaient besoin de patience. Ils avaient adopté pour système de conduite de ne rien prévenir, mais de tout faire avorter ; ils tâchaient de faire de l’ordre avec le désordre, ils parlementaient avec l’émeute et s’en faisaient écouter. Leur tort était de donner des fusils à quiconque en demandait, et il n’était personne qui n’en demandât. La populace voulait s’armer jusqu’aux dents pour monter la garde sous les fenêtres de la république, qu’elle seule mettait en péril, et qui n’avait rien à craindre que de ses sauveurs. Il est écrit qu’aucune révolution ne pourra échapper à cette singulière destinée d’employer les premières semaines de son règne à mettre la nation sous les armes et les semaines suivantes à la désarmer.


IV

Ce qui embarrassait le plus les ministres dans leurs débats avec les intransigens, c’étaient les doctrines qu’eux-mêmes avaient professées autrefois et les engagemens qu’ils avaient pris. À leurs sages conseils, à leurs judicieux avertissemens, on opposait leurs déclarations antérieures, qui fournissaient une arme aux turbulens et aux fous. Cela prouvait une fois de plus combien il importe aux hommes d’opposition de ne pas s’engouer d’utopies qu’arrivés au pouvoir ils sont contraints d’abandonner ou de désavouer sous peine de se rendre le gouvernement impossible.

Jadis le président du conseil et plusieurs de ses collègues avaient