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d’isolement dont s’applaudit leur indépendance. Comme cette langue ne possède aucune littérature, le peu d’idées générales qui circulent dans leurs villages et dans leurs bourgs leur viennent de leurs curés, chargés de leur apprendre ce qui se passe dans le monde, ce qui se dit et ce qui se projette à Madrid. Aussi courts d’esprit qu’ombrageux et défians, leur unique soin est de conserver leurs fueros. Il a été facile de leur faire croire que la royauté libérale nourrissait le noir dessein de les en dépouiller, qu’elle se disposait à les réduire au même régime que les autres provinces espagnoles. Il n’est pas plus difficile au prétendant de leur persuader que la royauté absolue peut seule leur garantir les franchises qui leur sont plus chères que la vie. Ne savent-ils pas que leur liberté est un privilège, et que les privilèges ont moins à craindre d’un roi qui fait ce qu’il veut que d’un régime constitutionnel, soit monarchie, soit république, où règne la loi ? Aussi, à l’exception de la bourgeoisie des villes, gagnée aux idées libérales, ces montagnards appartiennent corps et âme à la cause carliste, et l’on peut voir ce singulier phénomène de populations républicaines, voulant imposer à autrui un gouvernement dont elles ne voudraient pour elles-mêmes à aucun prix, et travaillant à faire monter sur le trône d’Espagne un roi absolu qui leur promet en récompense de les laisser vivre en république. « Nous souhaitons qu’avant peu, s’écriait M. Castelar le 12 septembre dernier, ces provinces basques, qui fournissent des subsides et des espions aux carlistes, et où l’armée de la république ne peut trouver nulle part d’asile ni de secours, reçoivent le châtiment que mérite leur faute, puisque ces provinces, les plus libres et les plus heureuses de l’Espagne, combattent non pour se donner un roi, ni pour lui offrir leurs fils et le fruit de leurs épargnes, mais pour l’imposer à la nation espagnole en continuant de vivre elles-mêmes en république. À coup sûr le gouvernement respectera une législation qui est en harmonie avec ses principes et ses idées ; mais il leur déclare par ma bouche que, si quelque chose menace leur avenir et cet arbre célébré par Rousseau comme le monument de la liberté, c’est leur aveugle obstination à soutenir, comme les Suisses d’autrefois, au prix de leur sang, le monstre de l’absolutisme. »

C’est parmi ces républicains aux sandales en cuir de bœuf et au béret bleu, marcheurs infatigables et grands joueurs de paume, que le carlisme recrute ses bandes, ainsi qu’en Navarre et dans une partie de la Catalogne. La montagne en général appartient au clergé et au prétendant ; elle leur fournit des soldats robustes, braves, sobres, lestes comme des contrebandiers, connaissant tous les passages secrets et les défilés, habiles à se dérober après une défaite et se