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invoque une sorte de droit divin et le mystère d’un dogme. D’autre part, cette forme de gouvernement, qui a l’avenir pour elle, étant condamnée à inspirer longtemps encore des défiances et des aversions irréfléchies aux classes possédantes comme à une partie des classes laborieuses, personne n’a plus d’autorité pour lui gagner les cœurs que les nouveaux convertis qui l’ont acceptée par raisonnement et qui expliquent de sang-froid les motifs de leur conversion. Les républicains espagnols pouvaient tirer de grands avantages de leur alliance avec les radicaux. Elle leur eût procuré un accroissement de forces qui n’était pas à dédaigner ; ils n’auraient pas été réduits à confier l’administration des provinces et la conduite de l’armée à des personnages subalternes, sans étoffe et sans crédit, incapables de commander aux passions, de prendre quelque empire sur les foules. Par leur rupture avec leurs alliés, ils se trouvaient à la fois moins armés contre les entreprises de leurs ennemis et plus dépendans de leurs redoutables amis, tourbe d’aventuriers à l’égard desquels ils allaient être condamnés à une politique de concessions, de faiblesse, de périlleuses complaisances, qui a failli perdre la république quelques mois à peine après son avènement.


II

Le danger le plus pressant qu’eût à conjurer le gouvernement provisoire était le carlisme, cette maladie organique de l’Espagne, tour à tour moins grave ou plus dangereuse qu’il ne semble, qui lorsqu’on désespère du malade se ralentit subitement, et quand on le croit guéri reparaît comme par miracle. C’est ici le lieu d’étudier de plus près ce parti singulier et cette bizarre destinée.

En apparence, le carlisme représente le principe de la légitimité ; mais ce n’est qu’une apparence. Don Carlos ne peut invoquer à l’appui de ses prétentions qu’un droit contestable et contesté. La reine Isabelle est arrivée au trône non par une émeute victorieuse ou par une révolution de palais, mais par l’abolition de la loi salique, que les Bourbons avaient importée de France, et par un retour à l’ancien droit traditionnel, qui jadis avait donné à la Castille le plus glorieux de ses souverains dans la personne de la première Isabelle. La fille de Ferdinand VII n’a point usurpé la couronne, elle l’a héritée de l’histoire, et ce n’est point pour une vaine question de procédure qu’une partie de ses sujets lui a fait la guerre durant sept ans. Son crime était de s’appuyer sur le libéralisme, qui en Espagne signifiait surtout l’affranchissement du territoire, possédé sur une immense étendue par des couvens et des chapitres,