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annoncèrent qu’ils leur abandonnaient la place ainsi que le soin de faire entendre raison au pays et de maintenir l’ordre. M. Martos, qui avait succédé à M. Zorrilla dans le commandement en chef de son parti et qui avait réussi à supplanter M. Rivero dans la présidence des cortès, releva fièrement le gant, et l’un des premiers jours du carnaval, pendant que les masques encombraient de leur foule joyeuse le Prado et la Fuente Castellana, on put croire que Madrid allait se transformer une fois de plus en champ de bataille. Les clubs ayant pris les armes, le président des cortès appela résolument à la défense du congrès les troupes dont il pouvait disposer et une partie de la milice, les anciens voluntarios de la libertad, recrutés parmi la petite bourgeoisie, dont le concours lui était acquis. La nuit du 22 au 23 février fut employée à des préparatifs de combat ; le conflit semblait inévitable et imminent, quand au matin M. Martos, sentant faiblir sa résolution, proposa un arrangement qui était un aveu d’impuissance et déguisait mal sa défaite.

La conduite du caudillo radical a été sévèrement qualifiée par son parti ; on l’accusa de pusillanimité, presque de trahison. Jamais accusation ne fut plus injuste. Le premier mérite d’un homme politique est de démêler nettement ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et il est par momens des influences secrètes, inaperçues du commun des mortels, qui engourdissent les bras armés pour le combat et brisent les plus fermes, volontés. Jacob lutta jusqu’à l’aube avec le céleste inconnu ; quand le jour parut, bien qu’il n’eût reçu aucune blessure, il se trouva que l’os de sa hanche était démis. Comme le patriarche, après s’être débattu toute la nuit contre ses pensées, M. Martos sentit qu’il avait souffert je ne sais quelle mortelle atteinte, et il rendit les armes à son invisible vainqueur.

Son seul tort était d’avoir rêvé quelque temps une résistance impossible et de s’être abusé sur la situation. Quel appui sérieux pouvait offrir aux radicaux une majorité parlementaire qui s’était discréditée en se prêtant au renversement des institutions existantes commises à sa garde, et en proclamant un régime nouveau sans en appeler au pays et à l’opinion ? Il n’est pas besoin qu’une assemblée vive douze ans pour mériter le titre de parlement-croupion, il suffit qu’elle outre-passe ses pouvoirs, qu’elle excède son mandat, qu’elle paraisse imposer ses volontés à ses électeurs dont elle brave ou méprise les avertissemens. M. Martos s’est ravisé en temps utile, il a compris que la destinée de tous les longs parlemens est de traîner une existence pénible et précaire jusqu’au jour où une tempête ou un sabre les balaie. Grâce à la transaction qu’il proposa et fit agréer par son parti, une telle extrémité fut épargnée à la chambre qu’il