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REVUE. — CHRONIQUE.

et des moyens d’économiser la vie humaine. Même dans les plaines populeuses de la Haute-Italie, la rapidité des mouvemens de l’armée française a plus d’une fois jeté une vraie déroute dans les services administratifs et dans le service hospitalier en particulier. L’art de conserver les armées, aussi important, suivant un mot du maréchal Bugeaud, que celui de gagner des batailles, n’a pas encore trouvé de règles bien fixes ; de tous côtés, on les cherche. Le docteur Léon Le Fort a publié un volume sur la Chirurgie militaire et les Sociétés de services en France et à l’étranger que consulteront avec beaucoup de fruit tous ceux qui voudraient diminuer les horreurs de la guerre.

La correspondance des chirurgiens et des agens anglais qui ont suivi nos armées pendant la dernière campagne, semée malheureusement dans une foule de journaux périodiques, nous a plus d’une fois serré le cœur pendant ces mois lamentables dont les dates s’appellent Wœrth, Sedan, Gravelotte, Coulmiers. Un agent anglais écrit de Sedan, le 5 septembre : « Ici même, à quelques pas du champ de bataille, dans l’hôpital, nous manquons de tout ; ce qu’il nous faut, ce sont des tentes et des lits. » Un autre écrit d’Arlon, le 6 septembre : « L’état des choses est pitoyable : non-seulement il y a une masse de blessés qui n’ont pas de lit, mais ils manquent d’une nourriture convenable ; la dyssenterie, la diarrhée, la fièvre, font leurs ravages. » Un autre dit : « Les villages de Rémilly et de Donzy sont bourrés de blessés ; un seul château près du dernier village en a 500. Il est triste de penser à ces centaines d’hommes qui, avec un peu de soins, pourraient être sauvés. » Faut-il parler des combattans et des blessés de l’armée de la Loire ? Qu’on lise seulement le rapport au ministre de M. Gallard et le compte-rendu des opérations de la société anglaise de secours attachée à cette armée improvisée, qui, au prix de mille souffrances, eut pourtant l’honneur d’arracher à Coulmiers une victoire à la fortune impitoyable.

Qu’on critique aujourd’hui à l’aise la convention de Genève, qu’on dénonce les abus de tout genre que la croix rouge a protégés, qu’on fasse même le procès à cette philanthropie internationale qui sème ses bienfaits sur deux camps rivaux, et semble ne servir ainsi qu’à entretenir la lutte : c’est surtout aux vaincus de se montrer reconnaissans pour les hommes véritablement généreux qui ont cherché à suppléer dans une faible mesure à l’insuffisance du service hospitalier. M. Léon Le Fort condamne d’une manière absolue toutes les sociétés de secours volontaires et libres : il veut, et il nous semble qu’il a raison, que rien ne soit laissé au hasard, que le service hospitalier soit une partie intégrante de l’armée, comme l’intendance. Cette nécessité ressort d’ailleurs aujourd’hui de l’encadrement de toute la population valide dans les rangs de l’armée active et de l’armée auxiliaire.

L’écueil des sociétés libres, c’est leur indiscipline, c’est aussi, si je puis me servir de ce mot, un certain dilettantisme qui use de grandes