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bien heureux ; mais franchement est-ce tout ? On nous eût fait une belle concession en nous accordant qu’il n’y aurait plus de privilèges de caste ou de fonction, et que nous aurions pu tous être magistrats ou officiers ! Un programme limité à une énumération sommaire et vague de quelques libertés incontestables et incontestées devait paraître assez insuffisant, et rien n’indique, même dans les paroles de M. Chesnelong, que M. le comte de Chambord voulût accepter une « déclaration des droits » émanant de la souveraineté nationale représentée par l’assemblée, un acte constitutionnel sous la forme d’un contrat. Ce qu’il y a de plus évident au contraire, c’est qu’on voulait ajourner l’établissement des principales institutions organiques jusqu’après la restauration, jusqu’au moment où l’initiative royale pourrait s’exercer dans toute sa majesté et dans sa plénitude. En d’autres termes, il est évident que pour M. le comte de Chambord, comme pour les légitimistes purs, la première, l’unique question était le rétablissement de la royauté traditionnelle, la réintégration du droit monarchique indépendant et souverain. Cela fait, la royauté une fois rétablie, tout le reste n’avait plus qu’un caractère accessoire. Il ne s’agissait plus de discuter ; il fallait agir, il n’y avait plus qu’à rappeler le roi, dont l’esprit libéral était fait pour tout comprendre. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est l’idée immuable qui reparaît sans cesse dans toutes ces déclarations et ces négociations qui se succèdent depuis quelque temps, par lesquelles on cherche à se faire illusion.

Si on avait pu du reste garder quelques doutes, on n’en a plus aujourd’hui, on n’en peut plus avoir après cette lettre d’hier adressée à M. Chesnelong, et où M. le comte de Chambord se fait lui-même l’interprète de sa propre pensée, où il précise le sens des paroles qu’il a pu prononcer, qu’on a pu répéter en son nom. La situation apparaît maintenant telle qu’elle est, sans subterfuge et sans équivoque. On demandait la lumière, elle éclate d’une manière imprévue et décisive. On croyait peut-être que les derniers événemens avaient pu exercer leur influence sur l’esprit de M. le comte de Chambord et l’incliner à ce que nous appellerons des pensées plus modernes, à de plus libérales transactions. Voilà la réponse à toutes les interrogations qui se sont élevées depuis quelques jours au sujet des conversations du prince avec M. Chesnelong. M. le comte de Chambord ne veut pas qu’on s’y méprenne, il ne rétracte rien, il ne retranche rien de ses déclarations précédentes ; il se figure toujours qu’on lui demande le sacrifice de son honneur, un acte humiliant et intéressé de faiblesse qui pourrait l’amoindrir dans son autorité comme dans son prestige. Des conditions, il n’en veut pas subir, et il ne parle pas sans amertume de ces « prétentions de la veille, » qui lui donnent, dit-il, « la mesure des exigences du lendemain. » Le drapeau, il n’en parle pas, si ce n’est pour élever plus haut que jamais le drapeau de sa maison et de son enfance, le seul qu’il connaisse. Des