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parlait par la bouche du conciliateur M. Bennigsen, et la sagesse, comme on dit, finit toujours par prévoir ; mais il fallait, avant de se séparer, ménager une réconciliation générale. « J’ai une explication personnelle à demander à M. le chancelier de l’empire, » dit M. Lasker, qui assure n’avoir rien compris à la colère de M. de Bismarck. En parlant des droits du peuple, il n’a voulu ni évoquer le souvenir des temps passés ni mettre en opposition le peuple et le gouvernement de l’empire. Il sait qu’un conflit entre le Reichstag et M. de Bismarck serait funeste au pays ; il espère bien qu’on n’a eu aujourd’hui qu’une « apparence de conflit, » et qu’on saura se garder à l’avenir même de semblables apparences. M. de Bismarck n’est point apaisé par ces paroles. Il maintient que M. Lasker a pris l’offensive. « Ce n’est pas le genre de l’orateur qui m’a précédé, dit-il, de crier et de gesticuler quand il est aux prises avec un adversaire ; seulement il a le grand talent d’aiguiser ses traits, je ne dirai pas de les empoisonner, mais de leur donner une saveur mordante. » Quant à son projet de loi sur la presse, quelque accueil qui lui soit réservé, il le maintiendra. « Je sais mon devoir envers les gouvernemens alliés, et je ne suis pas assez timide pour reculer malgré la faiblesse de ma santé. » Ces derniers mots, assez inattendus, sont-ils une excuse dissimulée ? Ce sont en tout cas les seuls où l’on puisse voir quelque envie d’atténuer l’effet de l’incartade de tout à l’heure, On finit pourtant par s’entendre ; il ne restait plus qu’à renvoyer à des temps meilleurs le projet de loi de M. Windthorst : c’est ce que fait le Reichstag avec beaucoup de calme et de dignité. La discussion en est simplement ajournée, mais personne ne doute que ce ne soit pour longtemps. M. Simson lit l’ordre du jour du lendemain, il n’y est point question de la presse, et la séance est levée[1].

Le lendemain et les jours suivans, il n’était bruit dans Berlin que de la séance du Reichstag : les esprits sérieux disaient avec raison que de tels incidens ne sont pas bons pour la renommée politique de l’Allemagne. En effet M. de Bismarck a trop clairement montré dans cette discussion que le parlement est à ses yeux une machine propre à voter les impôts, les lois militaires, les constructions de forteresses et les chemins de fer stratégiques, ou bien à détruire pièce à pièce ce qui reste de la souveraineté des petits états : sur tous ces chapitres, l’entente entre l’assemblée et lui est toute cordiale ; mais il l’arrête au premier pas qu’elle fait pour user de son initiative au profit de la liberté. Oh a trop bien vu aussi que, pour défendre les libertés publiques menacées, le Reichstag est mal armé. Le centre, qui les réclame, est suspect au reste de l’assemblée, et son

  1. Le projet de loi n’a plus reparu à l’ordre du jour.