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sur les cuisses et le corps penché en avant, regardait l’orateur ; à mesure que la voix de celui-ci s’animait et urne la gauche s’enhardissait à l’appuyer par ses bravos, on suivait sur son visage les progrès de l’irritation. Quand M. Lasker se rassied, au milieu de vifs applaudissemens, le chancelier se lève toujours sans demander la parole. Décidément il n’est point orateur : il n’a ni l’élocution, ni le geste, ni l’attitude ; il se balance de droite à gauche ; il se tire la moustache, et, pour attendre les mots qui ne viennent pas, regarde ses ongles, ou bien considère alternativement les deux extrémités d’un crayon, qu’il ramasse sur ses papiers ; mais il ne se presse pas, il hésite et il ânonne jusqu’à ce que le mot cherché soit enfin trouvé. Le plus étrange est que sa voix est douce, presque caressante ; du ton le plus charmant, il répond qu’il voudrait savoir où le précédent orateur a pris texte pour sommer le gouvernement de se dire, oui ou non, prêt à discuter les droits du peuple. « Ce sont, dit-il, des paroles d’un temps passé, et que j’ai le droit d’appeler déclamatoires. J’ai vécu dans un temps où quiconque avait à faire une proposition qui lui était commandée par l’intérêt de sa position personnelle ou par ses vues politiques particulières revendiquait pour lui seul le droit de représenter le peuple. Tous ceux qui siègent ici sont représentans du peuple ; moi aussi, j’ai ma part des droits du peuple ; sa majesté l’empereur lui-même appartient au peuple ; c’est nous tous qui sommes le peuple, et non les messieurs qui ont la vieille prétention, pas toujours justifiée, d’être des libéraux… » Ces paroles venant de M. de Bismarck et dites à M. Lasker étaient les plus cruelles qu’il pût imaginer. M. Lasker est rouge jusqu’aux oreilles ; les progressistes sont fort émus ; ils adressent au chancelier, de vives apostrophes, et je vois M. Duncker agiter une tête menaçante. Cette scène nous reporte aux mauvais jours du conflit, et M. Simson, qui ne les a point oubliés, invite les interrupteurs au silence ; mais tout est bien qui finit bien, et l’issue de cet incident en est le morceau le plus surprenant.

Après une courte explication entre le chancelier et MM. Windthorst et Duncker, M. von Bennigsen demande la parole. Il regrette qu’à propos de la simple question de la mise à l’ordre du jour d’un projet de loi on l’ait pris sur un ton que le Reichstag n’avait point encore entendu ; que sera-ce donc quand on discutera sur le fond ? Le plus sage serait de renvoyer la délibération à la session prochaine, comme on a fait pour la loi militaire ; si l’on n’a rien à mettre demain à l’ordre du jour, on se donnera congé ; la commission du budget, qui est surmenée de travail, pourra prendre quelque repos : « cela vaudra mieux que de voir des membres de cette commission arriver en séance fatigués, et parfois avec une mauvaise humeur qui n’est point sans excuse. » C’est la sagesse même qui