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pourtant intraitable, et volontiers sarcastique sur ce point. Au commencement de la législature actuelle, M. Schulze lui rappelait une sorte d’engagement pris par lui en 1866, dans la chambre de Prusse, alors qu’on y discutait sur la constitution fédérale. « Si le parlement, avait-il dit, décide que ses membres doivent être indemnisés, je crois qu’il sera difficile de, ne point céder. » M. de Bismarck ne fut nullement troublé par cette réminiscence. « Je ne sais pas, répondit-il, si j’ai tenu ce langage ; mais, puisque l’orateur l’affirme, je le crois volontiers. J’ai donc dit : Ce sera difficile ; mais me croyez-vous homme à reculer devant mon devoir, même quand il est difficile ? » L’assemblée, charmée de la réplique, se mit à rire. On dit qu’elle n’a point trouvé d’aussi bon goût une réponse indirecte que fit encore le chancelier à ces demandes périodiques d’indemnité. Dans la salle des pas-perdus, au-dessous du médaillon d’Uhland, il a fait écrire ce quatrain, tiré des œuvres du poète :

Uneingedenk gemeinen Lohnes,
Seid ihr bebarrlich, emsig, treu,
Des Volkes Würde, wie des Thrones,
Beachtet ihr mit heil’ger Scheu.
« Dédaigneux d’un vil salaire,
Travailleurs plein de zèle et sujets pleins de foi,
Vous respectez ensemble et le droit populaire
Et la majesté du roi. »


Il est aisé de voir que le gouvernement a voulu trouver un correctif au suffrage universel, et il a réussi. La vie est fort chère à Berlin, les petites fortunes n’y sont point à l’aise, et les députés qui ne sont ni propriétaires ni financiers y restent le moins possible ou n’y viennent pas du tout. Le député Bebel, tourneur de son état, gagnait sa vie, avant d’être emprisonné, en travaillant dans l’atelier d’un confrère berlinois ; mais on dit que 18 députés, parmi lesquels 13 Bavarois, catholiques et particularistes, n’ont jamais siégé.

Aux députés qui sont retenus dans d’autres assemblées, à ceux que le manque d’indemnités empêche de venir à Berlin, il faut ajouter les Polonais, les fonctionnaires de tous ordres qui invoquent de temps en temps les nécessités du service pour obtenir un congé, les négocians et les industriels qui ont souvent consacré trois mois aux travaux législatifs d’un petit état avant de se rendre au parlement, d’où ils s’échappent aussi souvent qu’ils peuvent, enfin les malades et les habiles qui se font envoyer aux eaux par un certificat de médecin. On comprend que le Reichstag soit toujours sous la menace de l’incapacité de vote. Il expédierait volontiers les lois, nonobstant cet obstacle ; mais, comme tout projet a des adversaires, il se trouve toujours quelque indiscret qui réclame au moment