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dominante, quelque ressort intérieur, un élément de spontanéité, un primum movens, tout à fait distinct du tempérament, du milieu, de l’évolution ou de l’hérédité, quelque chose enfin qui échappe à vos formules et qui les dépasse infiniment. Le génie, comme l’héroïsme, restera une des formes les plus éclatantes de la personnalité, les plus indépendantes de l’espèce. A l’origine de ces grandes manifestations de l’homme, l’art, l’originalité inventive, il y a une donnée initiale dont le scalpel ni le compas ne peuvent mesurer la grandeur. C’est le vol de l’aigle, ce sont ses ailes et sa force, contenus dans un germe semblable à tant d’autres, avec un élément de plus que nous ne saisissons pas et qui fait l’aigle. Le génie n’est pas une résultante de la race, il n’est pas non plus l’expression d’une époque : il la domine et la devance ; même dans la science, où la préparation et la part du travail antérieur sont considérables, il y a l’éclair qui vient on ne sait d’où, mais de plus haut assurément que cet amas de matériaux accumulés. Cet éclair qui illuminait l’âme guerrière de Condé sur le champ de bataille, il est de la même essence que celui qui tombe sur les calculs du grand géomètre au fond de son cabinet d’étude ou sur les expériences du physicien dans son laboratoire, et qui, en illuminant tout en eux et autour d’eux, leur découvre des horizons inaperçus. Cet éclair, c’est une idée d’une fécondité infinie, implicitement contenue dans une foule d’autres, qui jaillit tout d’un coup, comme d’un foyer intérieur frappé par le choc d’une intuition plus directe et plus forte. Voir plus haut ou plus profond, voir plus loin et plus juste, voilà bien l’inspiration dans la science, comme dans la poésie et dans l’art ; mais qui ne sent en même temps que ces grandes originalités ne doivent pas laisser d’héritiers, que cette vertu inventive passe sur la terre sans dire son secret, sans même le savoir, que tous ces dons merveilleux et incommunicables augmentent le patrimoine des générations sans rien ajouter à leurs organes ni à leurs forces ? Les résultats du génie et de l’art s’accumulent et se transmettent ; mais l’art et le génie eux-mêmes naissent et meurent dans leur superbe solitude, sans passer dans le sang des familles ou des races, sans rien changer aux facultés de l’espèce.


V

S’il est un fait historiquement démontré, c’est celui-là L’inspiration ne se développe nulle part, en aucun temps, en aucun lieu, en raison des autres élémens du progrès ; elle reste indépendante du développement général de l’espèce, et l’on pourrait trouver des exemples