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y ajouta, au XVe siècle, l’expansion des gaz, qui donna la poudre à canon, et le magnétisme terrestre, qui donna la boussole. Ce furent la quatrième et la cinquième force conquises. Enfin au XVIIIe et au XIXe siècle, la vapeur et l’électricité ajoutèrent deux nouvelles forces d’une fécondité illimitée à l’empire de l’homme sur la nature[1]. Où s’arrêtera cet empire ? Les savans nous montrent l’homme maître de ces forces graduellement conquises, au point de transformer la lumière en chaleur, la chaleur en lumière, l’électricité en magnétisme, toutes ces formes de l’activité en puissance mécanique, de convertir les uns dans les autres les composés de la chimie, d’imiter les procédés de la nature morte et la plupart de ceux de la nature vivante, d’enlever ou de rendre à la terre le pouvoir de nourrir les plantes, de se servir même de forces dérivées que la nature ignore peut-être et de substances complexes qu’elle n’a probablement jamais produites[2]. « Pouvoir, c’est savoir, » a dit Bacon, knowledge is power. Ç’a été l’œuvre visible de l’humanité de transformer par sa pensée, qui est une force aussi, toutes les autres forces qui l’entourent, mais qui lui sont inférieures parce qu’elles sont aveugles, de les ajouter aux siennes et par là de produire, c’est-à-dire de susciter des mouvemens dans un ordre nouveau et dans des directions déterminées en les appliquant au service de l’espèce humaine.

À ces forces empruntées à la nature, asservies par la science, accumulées dans le trésor toujours croissant des générations humaines, il faudrait joindre le tableau de ces autres forces d’un genre mixte qui participent, de la régularité des mouvemens physiques, bien qu’elles en diffèrent par leur origine, les forces sociales. L’économie politique s’en empare par l’observation ; elle livre à l’homme civilisé le secret des lois qui règlent le jeu multiple de ces grands phénomènes ; elle lui révèle le principe de la formation du capital par exemple, et la puissance d’action de cet élément, qui représente le travail et l’épargne du passé. Cette force devient prodigieuse par l’accumulation ; c’est un des leviers les plus puissans qui soulèvent une nation quand elle sait l’appliquer où il faut, quand elle s’en sert soit pour augmenter la puissance de production par la construction ou le renouvellement de l’outillage industriel, soit pour perfectionner les facultés de l’espèce par l’instruction ou réaliser quelque grande idée qui deviendra elle-même la source de mille progrès nouveaux. Ainsi se transforme peu à peu le sort de l’humanité. À l’accroissement de force correspond un gain presque

  1. M. Félix Foucou, Théorie du mouvement.
  2. Voyez l’esquisse des conquêtes de l’homme sur la nature dans le discours de M. Dumas, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, à l’Association polytechnique, année 1866.