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porté ses fruits ; de même que l’illustre écrivain avait étudié l’Allemagne au profit de la France, les Anglais, les Allemands ont à leur tour étudié la France au profit de leur pays. Livres et conférences, partout ces utiles travaux se sont multipliés sous différentes formes, les peuples les plus réfractaires au progrès moderne, les plus enveloppés des ombres mystiques du passé, se sont ouverts aux débats au présent ; le Danemark, réactionnaire et piétiste, s’est ému aux noms de Voltaire et de Rousseau. Il vient d’entendre la parole d’un homme libre et autorisé lui raconter la révolution française, les grands esprits qui l’ont précédée, amenée, et ceux qu’elle a suscités dans notre temps, les Chateaubriand, les Constant, les Staël, et le voilà ce vieux Danemark, isolé jusqu’alors dans le romantisme d’Oelenschläger, le voilà lancé en pleins courans, et bon gré mal gré forcé de nager avec le siècle. L’auteur de ce coup d’éclat est un jeune esthéticien de verte allure, nourri à fond de notre XVIIIe siècle, dont les principes, par momens, lui montent au cerveau, ivresse si l’on veut, mais qu’il ne s’agit pas de juger à distance ; constatons seulement que sur place elle a produit les plus puissans effets. Il faudrait se reporter aux souvenirs de la Sorbonne, aux jours épiques des Guizot, des Villemain et des Cousin pour se faire une idée de la fiévreuse agitation entretenue dans Copenhague, pendant l’hiver de 1871, par un simple cours de littérature. Jamais l’université ne s’était vue à pareilles fêtes ; neige, pluie et vent, on bravait tout plutôt que de manquer une de ces séances dont l’esprit public s’occupait ensuite des semaines entières, tant la nouveauté de ces idées frappait chacun, tant on admirait l’audace de cet homme osant ainsi mettre à nu la pauvreté de la littérature nationale. A la vérité, de littérature danoise, il n’en existe pas, prétend M. Brandès ; les bons bourgeois de Copenhague ne s’en étaient encore point doutés. Notre œil ne perçoit les objets ni de trop près, ni de trop loin, et l’étude comparée des littératures a cette double propriété de rapprocher assez de nous les choses qui sont loin pour que nous puissions nous les assimiler, et d’éloigner assez ce qui nous touche pour corriger le défaut d’optique.

Toute grande littérature est en même temps un document historique et moral. Si je veux savoir comment les Français, les Anglais ont vécu, ont pensé à telle période, leurs poètes et leurs prosateurs me l’apprendront ; mais ce n’est point là le fait de tout le monde. En regard de ces nations dirigeantes où les problèmes de l’existence sociale se retrouvent agités, débattus au théâtre, dans les volumes de vers, dans les romans, — loin, bien loin de ces centres de lumière et de productivité sont des pays qui semblent s’être fait une loi de rester à l’écart. Rien de l’étranger n’y pénètre, si ce n’est de