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deux métaux dans la circulation se prêtent un appui mutuel, se protègent l’un l’autre contre la dépréciation. On a soutenu notamment que, si après la découverte des mines de la Californie et de l’Australie il n’y avait eu que l’or comme signe monétaire, la dépréciation eût été beaucoup plus grande qu’elle n’a pu être, qu’elle a été retenue par le rapport fixe de valeur entre celui-ci et l’argent. Il semblerait, à entendre les auteurs de cet argument, que, lorsqu’il y a deux métaux dans la circulation, celui qui est le moins abondant conserve une valeur absolue indépendante de la quantité qui existe de l’autre. On peut bien admettre en effet qu’il se déprécie un peu moins ; l’expérience nous le montre tous les jours. Si l’or, par exemple, est à l’argent dans le rapport de 1 à 15 1/2, il peut arriver à ne plus être que dans celui de 1 à 15 par suite d’une abondance exceptionnelle ; mais aller jusqu’à dire que cette abondance sera sans influence aucune sur le prix de l’argent, que ce dernier métal conservera sa valeur et aura la puissance de retenir l’autre sur la pente de la dépréciation, c’est contraire à toutes les lois de l’économie politique, et, si on voulait revenir à la comparaison de tout à l’heure, on pourrait demander si le charbon de terre, venant s’ajouter au bois comme combustible, a pu arrêter ou même ralentir la baisse de prix de celui-ci.

La dépréciation des choses peut être plus ou moins grande suivant les qualités particulières attachées à chaque chose, les usages différens qu’on en fait. Ainsi pour le bois, les nombreux emplois qu’il rencontre dans la construction et l’ébénisterie en maintiennent nécessairement le prix et l’empêchent de baisser autant qu’il aurait fait, s’il n’avait été utilisé que pour le chauffage. De même pour l’argent, les usages industriels auxquels on le destine lui donnent une valeur indépendante de l’utilité monétaire ; néanmoins, pour l’un comme pour l’autre, il y a diminution de prix du moment qu’il y a concurrence dans l’emploi principal, et l’emploi principal de l’argent, c’est évidemment la monnaie. S’il ne servait plus ainsi, personne ne doute qu’il n’arrivât à se déprécier considérablement ; ce n’est pas l’emploi industriel qui l’en pourrait garantir. Sur la quantité d’argent qui est produite chaque année, il n’y en a certainement pas la sixième partie qui est destinée à autre chose qu’à l’usage monétaire, et on ne voit pas comment ce métal, venant à s’ajouter à l’or et lui faire concurrence dans la circulation, peut arrêter la dépréciation de l’un et de l’autre ; il ne fait au contraire que la précipiter. L’or seul, obligé de répondre à tous les besoins, se soutiendrait nécessairement à un niveau de prix supérieur ; cela paraît incontestable. Ce que nous venons de dire de l’argent par rapport à l’or s’applique tout naturellement à l’or par rapport à l’argent ; c’est