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nous avions démonétisé notre argent, dit-on, avant les tristes événemens de 1870, nous aurions eu cette ressource de moins pour faire face à nos besoins. Et comment donc l’aurions-nous eue de moins ? On ne suppose pas apparemment que démonétiser signifie jeter à la mer ; si l’on avait démonétisé l’argent, on en aurait gardé d’abord ce qui nous était nécessaire comme monnaie d’appoint, et on aurait ensuite vendu le reste ou on l’aurait mis en réserve sous forme de lingots jusqu’à ce qu’on en ait eu le placement. Le stock métallique eût été probablement le même ; ce qui aurait manqué en argent eût été remplacé par de l’or. On fait grand bruit de cette prétendue facilité que nous a procurée la monnaie d’argent pour payer les Prussiens ; mais il a été démontré ici même[1] que, pour accomplir ce paiement, nous n’avons pas envoyé au dehors plus de 400 ou 500 millions d’espèces métalliques, le reste a été solde au moyen de nos échanges commerciaux, de la vente des valeurs mobilières que nous possédions sur l’étranger et de la part qu’ont prise à nos emprunts les capitalistes du dehors. Or, si on suppose que sur les 500 millions il y ait eu la moitié en argent, à qui fera-t-on croire que, ce métal n’ayant plus cours légal chez nous, on n’aurait pu se le procurer jusqu’à concurrence de 250 millions sous forme de lingots ? Une seule maison de banque, la maison Rothschild par exemple, se serait parfaitement chargée de l’opération.

Admettons pour un moment qu’on a trouvé plus aisément les 250 millions sous forme de monnaie, l’avantage qu’on prétend en avoir tiré est encore illusoire. La valeur commerciale de l’argent ne répond plus exactement au rapport de 15 1/2 à 1 fixé par la loi de germinal an XI entre les deux métaux précieux ; elle est de 2 pour 100 au-dessous. En payant en monnaie d’argent au lieu d’or, on aurait donc gagné 5 millions ; mais on oublie que, si on avait démonétisé l’argent avant la guerre, on aurait réalisé également ces 2 pour 100 qu’on perd aujourd’hui par suite de la dépréciation ; on l’aurait vendu 2 pour 100 de plus. Par conséquent la situation eût été exactement la même. Ce n’est pas assez dire : on aurait toujours conservé la faculté de s’acquitter en argent, et comme on aurait acheté ce métal à l’état de lingot, avec une dépréciation de 2 pour 100, on aurait profité absolument de la différence. On peut encore ajouter que, les lingots étant reçus de préférence aux espèces monnayées, attendu que les nôtres n’ont pas cours légal en Allemagne et doivent être refondues, nous aurions économisé en plus les frais de refonte, qui restent nécessairement à notre charge. Qu’on cesse donc de nous dire que l’on a trouvé plus de facilité et plus d’avantage à payer les

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1873.