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l’entrée du caveau. Le type du puits funéraire est venu de l’Égypte en Phrygie par l’intermédiaire des Phéniciens[1]. Au temps des Achéménides, quand les vieilles monarchies de Lydie et de Phrygie tombent de vétusté, alors que leur langue nationale se perd, et que les Grecs des côtes, dans leur ardeur juvénile, dédaignent ces vénérables aïeules qui leur ont servi de mères, on assiste à un spectacle bien digne de méditation : l’art grec, qui avait emprunté ses types, ses modèles, ses procédés, et en quelque sorte sa raison d’être à l’Asie-Mineure, est à son tour imité par les sculpteurs de la presqu’île grecque du VIe ou du Ve siècle. La tombe de Kumbet, où est le bas-relief que nous avons rapproché du motif d’architecture de la porte des Lions à Mycènes, n’a point de puits funéraire ni de porte simulée ; un sculpteur qui connaissait les monumens de l’Ionie l’a dessinée. On n’a pas retrouvé de trace de peinture sur cette tombe comme sur celle de Delikli-tach, mais il est démontré que l’art indigène de l’Asie-Mineure, ainsi que l’art assyrien, a décoré de vives couleurs ses édifices et ses bas-reliefs. C’est de Lydie et de Phrygie que les Ioniens ont reçu les traditions de la polychromie asiatique. Souvent on suppléait par des enduits colorés à l’insuffisance d’une taille précipitée, à un relief. absent : on le voit encore sur tel personnage assyrien, où le peintre a figuré certaines pièces du costume oubliées par le sculpteur. La crinière des lions de Mycènes, qui sont bien l’œuvre d’ouvriers venus de l’Asie-Mineure, n’a pas été sculptée : elle était certainement peinte de cette couleur d’un brun rouge qu’on a retrouvée sur les lions du tombeau de Mausole, à Halicarnasse.

La figure colossale du mont Sipyle, entre Magnésie et Smyrne, où l’on a cru reconnaître la Niobé dont parle Sophocle, est tellement fruste qu’on n’en peut rien dire, sinon qu’elle donne l’idée d’une femme assise. J’inclinerais à voir dans cette forme la Mère des dieux[2], adorée en cette région comme dans toutes les contrées de l’Asie-Mineure. Le relief de « la Niobé, » qui est presqu’une ronde bosse, a été taillé comme les figures de Boghaz-Keuï, de Ghiaour-Kalési et de Nymphi, au centre d’une sorte de niche pratiquée dans la surface du roc éternellement en pleurs. Le monument de Nymphi est beaucoup mieux conservé. On sait qu’il n’y faut plus voir une figure de Sésostris. Thothmès III a pu étendre ses conquêtes jusqu’en Asie-Mineure, mais il suffit de comparer les bas-reliefs authentiques de Ramsès II sur la côte de Syrie, au passage du Nahr-el-Kelb près de Beyrouth, et à Adloun près de Tyr, pour se bien persuader avec Rosellini, Kiepert et M. Perrot, que la sculpture de Nymphi n’a rien d’égyptien. Nous avons là un bas-relief devant

  1. Voyez dans la Mission de Phénicie, de M. E. Renan, la description de la nécropole de Marathus (p. 70).
  2. Pausan., III, 22.