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dans le terem, a eu, comme l’homme, ses aspirations de liberté et d’affranchissement. Il y avait quelque chose de téméraire et de peu sympathique dans la désinvolture hardie des premières réclamantes ; aujourd’hui l’esprit pratique a déjà corrigé les travers du début. L’instruction des femmes prend la place de leur émancipation, et l’on commence à faire sous ce rapport des expériences sérieuses dont nous profiterons un jour. L’esprit russe ne recule pas toujours devant de pareilles tentatives, et de ce côté, d’où nous attendons si peu, nous aurons peut-être dans l’avenir plus d’un exemple à recevoir. De tous les peuples, le Russe est un de ceux qui, une fois qu’ils se sont dégagés de leurs idées traditionnelles et de leurs préventions nationales, en sont le plus complètement affranchis. Il se glorifie souvent de n’avoir point d’histoire, et se pique d’être un peuple nouveau sans généalogie et sans tradition. D’autres fois, s’il aime son passé, c’est qu’il y croit découvrir les germes des institutions de l’avenir, les bases de l’ordre nouveau qui doit régénérer la société européenne. Par un des perpétuels contrastes de la Russie, tandis que le paysan demeure obstinément conservateur des rites et des formes, l’homme du monde et l’étudiant se félicitent d’avoir rejeté derrière eux toutes les vieilles traditions. « L’esprit russe, aiment-ils à dire, est comme une table rase sur laquelle le passé n’a laissé aucune trace, il ressemble à nos landes ou à nos steppes encore en friches. » Le grand travail de quelques-uns des plus nobles esprits a longtemps été de se débarrasser de toutes les idées de leur éducation, d’effacer ainsi tout ce qu’ils avaient reçu de leur pays sans y vouloir substituer ce que leur offrait l’Occident, dont la vieillesse leur inspirait un certain dédain. C’est encore là une forme du radicalisme intellectuel des Russes, un autre symptôme de cette témérité théorique qui rend la marche de la Russie dans l’avenir et les lignes de son développement difficiles à dessiner.


VI

Nous voilà loin de la nature et du climat ; il nous y faut revenir pour en signaler un des traits les plus saillans et une des analogies les plus frappantes avec le génie de la nation. Nous avons assez décrit l’uniformité des campagnes de la Russie ; elles aussi ont pourtant leur principe de variété, qui réagit puissamment sur l’homme et contribue à expliquer les contradictions apparentes du caractère du grand peuple du nord. Ce principe de variété est dans le climat et non dans le sol. En Russie, la diversité, et avec elle le pittoresque et la beauté, proviennent du temps plus que de l’espace, de la succession des saisons plus que de celle des contrées. C’est l’inverse