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atmosphère énervante, il faut chaque jour passer à l’air glacial du dehors ; après avoir fait provision de chaleur pour le sang et les membres, il faut faire provision d’air pour les poumons. Ainsi l’on va pendant plusieurs mois, traversant sans cesse, de la maison à la rue, des intervalles de 40 à 55 degrés centigrades, comme si l’on passait plusieurs fois dans la même journée de l’été du midi à l’hiver du nord, des bords de la Mer-Rouge à ceux de la Baltique. Le corps, grâce aux fourrures imprégnées de chaleur, supporte sans souffrance, parfois presque sans s’en apercevoir, ces perpétuels voyages d’une zone dans l’autre ; à la longue, la constitution ne s’en ressent pas moins.

Le climat n’est guère plus favorable à la propreté qu’à la santé. Les maisons, dont l’hiver clôt hermétiquement toutes les ouvertures, sont difficiles à tenir propres. Les poêles, uniquement employés pour le chauffage, ne peuvent purifier l’air des chambres dans lesquelles ils ne s’ouvrent pas. Les familles riches ou aisées remédient à ce défaut par la grandeur des appartemens, qu’on laisse librement communiquer ensemble, et où l’on brûle fréquemment des parfums. Le paysan est condamné à vivre dans une atmosphère étouffante et malsaine. L’air chaud et fétide de ses cabanes fait éclore des myriades d’insectes, et les parasites de toute sorte y pullulent. Au dehors, les immondices jetées autour de la maison disparaissent dans les neiges pour retrouver leurs mauvaises odeurs au printemps. Dans les villes mêmes, elles ne peuvent pas toujours s’écouler par les égouts que ferme la glace ; rendues inoffensives par la gelée, elles se conservent longtemps, et aux premiers jours de chaleur remplissent les rues d’exhalaisons fétides. Rien n’égale la puanteur du dégel russe dans les villes. La neige, qui, sous les traîneaux, ressemble à du sable ou à du verre pilé, se transforme en une boue épaisse, nauséabonde, dont les pieds rapportent les émanations dans les maisons.

La nécessité de rester toujours couvert est elle-même pour le peuple un obstacle à la propreté. Le paysan dort tout habillé et passe la nuit dans le même touloup de mouton que le jour. Il est vrai qu’il prend un bain de vapeur chaque semaine, le samedi, avant la fête dominicale. Malheureusement il est obligé de remettre ses vêtemens remplis de vermine ; il ne se déshabille guère et ne change de linge, quand il en porte, que ce jour-là ; souvent, n’en ayant pas d’autre, il lave lui-même sa chemise après le bain, avant de l’endosser de nouveau. Chaque village a ses étuves, de misérables baraques de bois, où l’on obtient la vapeur en versant de l’eau sur une sorte de fourneau de pierres qu’on fait rougir ; quelques planches inclinées servent de couches aux baigneurs, et des poignées d’écorces de tilleul tiennent lieu d’éponges et de gants