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à gagner, malaisées à guérir. Ce qui est le plus à redouter, ce ne sont pas les grands froids, ce n’est même pas le contraste des rigueurs de l’hiver et des ardeurs de l’été, ce sont les saisons intermédiaires, le printemps et l’automne, avec leurs longues alternatives de gelées et de dégel qui durent souvent des mois, avec leurs brusques variations de température qui, en une journée, peuvent atteindre 20 degrés. Dans ces oppositions et cette instabilité du climat, toutes les maladies, toutes les épidémies trouvent des conditions favorables, encore accrues par l’insuffisance de l’alimentation. Grâce à une plus grande sécheresse de l’air dans le centre et dans l’est au moins, les maladies de poitrine sont moins fréquentes qu’en Angleterre. En revanche, la petite vérole, les fièvres typhoïdes, les fièvres puerpérales, les angines et bien d’autres maladies font chez cette population mal nourrie, mal logée, de périodiques ravages. Si les hautes classes ont un régime alimentaire mieux en rapport avec le climat, leur genre de vie leur en enlève souvent le bénéfice. Nulle part l’ordre naturel de la veille et du sommeil n’a été à ce point renversé, nulle part on ne fait à ce point de la nuit le jour, et peut-être est-ce encore une conséquence indirecte du climat qui dans le nord supprime tour à tour le jour ou la nuit, ou exagère démesurément l’un aux dépens de l’autre. A l’influence débilitante du climat se joignent ainsi des habitudes qui tendent à exagérer la sensibilité nerveuse. Pour la plus grande partie de la population, qui fait entrer la viande dans sa nourriture habituelle, cet aliment substantiel a peut-être perdu quelques-unes de ses qualités par suite du procédé au moyen duquel on le conserve. En Russie, on fait geler au commencement de l’hiver la viande et le poisson dont on a besoin pour la saison ; cela facilite singulièrement les transports et les approvisionnemens ; mais il n’est pas impossible que cette viande qu’on fait dégeler au moment de l’apprêter soit moins salutaire que de la viande fraîche.

Les précautions mêmes que le climat oblige à prendre sont peu saines. Pour résister à l’hiver, il faut vivre dans une atmosphère lourde, épaisse, d’air vicié rarement renouvelé ; contre le grand froid, il faut accumuler d’avance des provisions de chaleur et se faire dans la maison, avec du bois et des poêles, un climat artificiel plus chaud que celui que le soleil donne au midi de l’Europe en été. Plus la température est basse au dehors, plus elle doit s’élever au dedans. Derrière leurs doubles fenêtres enduites de mastic pour toute la saison, les habitans des villes changent leurs maisons en serres tièdes, où ils respirent le même air que les plantes des tropiques, dont ils aiment à embellir leurs demeures. Dans sa cabane de bois, souvent entourée d’un rempart de fumier pour empêcher le froid d’y pénétrer, le paysan s’entasse avec toute sa famille autour d’un énorme poêle, sur lequel tous dorment la nuit. De cette