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humaine atteint au terme le plus reculé. Cette opposition est surtout frappante dans les contrées du nord. Dans le gouvernement de Novgorod par exemple, sur une population d’un million d’âmes, il est mort en une année (1871) vingt-neuf-centenaires, ce qui en suppose davantage en vie[1]. A côté de cela, dans toute la Russie, le nombre des hommes qui dépassent trente-cinq ans est plus faible qu’en France, le nombre de ceux qui dépassent soixante plus de deux fois moindre[2]. C’est surtout sur les enfans que frappe la mortalité. Sous ce ciel, l’apprentissage de la vie est plus pénible, l’enfant a besoin de plus de soins, et les soins sont moins aisés à lui donner ; il souffre de la difficulté de prendre l’air, de la difficulté de l’allaitement artificiel, il souffre même des distances qui, dans la saison des travaux des champs, forcent sa mère à l’abandonner pendant de longues heures. Les enfans délicats sont condamnés à une mort précoce ; les plus forts survivent seuls pour être soumis chaque année à une épreuve qui chaque année est fatale à beaucoup. Il y a par la main de la mort un triage successif qui, à force d’éliminer les faibles, ne laisse debout pour la vie et la reproduction de la race que les plus robustes. Si la population rencontre dans ces épreuves périodiques du climat un grand obstacle à son développement, on peut espérer qu’étant mieux armée contre la nature elle lui saura un jour mieux résister. Les cas de longévité suffisent à montrer que, si sévère qu’il soit pour la faiblesse, le climat n’est point hostile à la vie, et ils font entrevoir qu’avec une meilleure hygiène et un meilleur régime la durée moyenne de l’existence pourrait beaucoup s’accroître.

Il semble que, dans une population soumise à cette sorte de sélection successive, la vigueur du tempérament doive être commune ; malheureusement il est loin d’en être toujours ainsi. Dans ce pays de hautes tailles et de fréquente longévité, où l’on voit des hommes de près de six pieds vivre plus de cent ans, la force est souvent plus apparente que réelle. Ce climat, qui en peu d’années corrode le granit, ébranle les constitutions qu’il ne détruit pas. Il n’éteint point l’activité vitale, il ne condamne point le corps ou la race à une précoce dégénérescence, comme dans les régions tropicales ; mais à la longue il est souverainement déprimant, débilitant. Le tempérament lymphatique est le plus général en Russie. Les scrofules sont fréquentes, les maladies contagieuses communes, faciles

  1. Pamiatnaïa knigka Navgorodskoï Gouberni na 1873, god.
  2. Sur 1,000 habitans, on n’en compte en Russie que 45 au-dessus de soixante-ans, en France notablement plus de 100. Dans les gouvernemens du nord, comme celui de Taroslaf, la proportion des sexagénaires est plus forte, elle atteint 63 pour 100 ; dans quelques-uns de ceux du sud, comme Kief, elle descend au-dessous de 30. Statistitcheski Vréménik de 1871, Svédiniia o vozrastokh.