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de soupe aux choux fermentes, qui est le mets national par excellence. On y joint des champignons desséchés et du poisson gelé ou salé, deux choses dont il ne se fait nulle part une aussi grande consommation qu’en Russie. Une religion venue du sud avec des jeûnes orientaux, dont les siècles n’ont pas adouci la rigueur, a augmenté le mal provenant de la nature. Cependant les exigences du climat ne se pouvaient entièrement éluder ; la boisson a pourvu au défaut de nourriture. Les Russes ont deux boissons nationales : le kvass, sorte d’eau panée légèrement fermentée, et le thé, dont en Russie l’usage est aussi général qu’en Chine, et qui depuis des siècles y rend des services inestimables. La bouilloire à thé, le samovar de cuivre, est toujours le premier ustensile d’un ménage : il n’est si pauvre cabane qui en soit dépourvue. Le thé, surtout dans un pays où l’eau est souvent de médiocre qualité, est d’un grand secours ; mais sous ce ciel ce n’est point un tonique suffisant. On y ajoute l’eau-de-vie de grain, la pâle, la blanche vodka. Il y a longtemps que l’on a remarqué que l’ivrognerie va en augmentant avec le degré de latitude. Le goût de l’alcool est aussi naturel chez le paysan russe que la sobriété chez le Sicilien ou l’Andalou ; c’est le défaut du climat plus que le vice de l’homme. Tant qu’il n’aura pas un meilleur régime, l’eau-de-vie sera pour le mougik un remède malsain, mais difficile à remplacer. Ce qui est le plus à regretter, ce n’est pas qu’on n’en puisse proscrire l’emploi, c’est qu’on ne le puisse régler, c’est qu’en un jour de débauche il faille voir absorber (les Russes ne boivent pas les liqueurs, ils les engloutissent d’un trait) des quantités de vodka qui, sagement réparties, serviraient à la santé du paysan au lieu de tourner à son abrutissement. Ces tristes résultats physiologiques en amènent d’autres économiques non moins défavorables. La pauvreté de son régime diminue chez le paysan russe la capacité du travail, et avec l’énergie du travail elle lui en enlève le goût et le besoin. Habitué à une faible nourriture, il finit par s’en contenter ; comme l’habitant du midi, il suffit à ses maigres besoins avec un médiocre labeur et laisse sa paresse profiter de ses habitudes de frugalité. Il perd ainsi le principal avantage des pays du nord, le stimulant de la nécessité, et ne le recouvre qu’à mesure que la civilisation développe ses besoins avec ses goûts.

Un tel régime, sous un tel climat, ne peut manquer d’avoir une regrettable influence sur le tempérament et sur la durée même de la vie. Les effets en sont visibles dans les statistiques de la population, Là se rencontrent les deux extrêmes, une de ces anomalies qui en Russie nous ont fait ériger le contraste ; en loi. C’est un des pays où la mortalité est las plus grande, la vie moyenne la plus courte, et c’est, un de ceux où il y a le plus de cas de longévité, où la vie