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sera complètement faite que quand la science aura suivi dans l’ordre inverse l’histoire du genre humain à travers ses transformations probables dans le plus lointain avenir, son acheminement vers la dissolution. Tout changement subi par une existence sensible se fait dans l’une ou l’autre de ces deux directions opposées : une de ces tendances est la suite naturelle de l’autre, elle en est le complément.

Suivons les trois grandes lois de l’évolution dans leur application aux sociétés. D’abord l’évolution sociale est, comme toute évolution, une intégration de plus en plus grande, un changement qui va d’un état diffus à un état cohérent, un mouvement marqué de concentration. De même que chaque plante grandit en concentrant en elle des élémens auparavant diffus à l’état gazeux, de même que chaque animal croît en concentrant ces mêmes élémens dispersés dans les plantes et les animaux à sa portée, de même la vie des sociétés se forme et se consolide « par l’unification » de plus en plus marquée et de plus en plus stable, depuis la première union des familles errantes en tribus jusqu’à l’idée d’une fédération européenne, qui n’est qu’une intégration beaucoup plus vaste. Le même mouvement s’opère en même temps dans les produits variés de l’activité humaine. Les progrès du langage, des arts industriels et esthétiques, deviennent « comme un procès-verbal objectif, » comme une table d’enregistrement des changemens qui s’opèrent dans l’intérieur de chaque groupe humain.

La seconde loi, c’est le changement allant d’un éttat homogène à un état hétérogène. Cette loi, qui règle le développement des phénomènes astronomiques et géologiques, se révèle clairement dans l’histoire des corps organisés par la distinction de plus en plus marquée des parties, par la division toujours croissante des organes et des fonctions. Elle se marque en traits également significatifs dans l’histoire de l’espèce humaine par la multiplication des races, dans chaque groupe par la distinction qui s’établit entre les facultés et les fonctions, entre les gouvernans et les gouvernés, entre l’église et l’état, entre les classes ou ordres de travailleurs, qui sont autant d’organes du corps social.

Mais en même temps, et c’est la troisième loi, qui retient et limite les effets de la seconde, en même temps que dans une existence quelconque il s’opère un changement de l’homogène à l’hétérogène, il s’en opère un autre de l’indéfini au défini. A côté d’un progrès allant de la simplicité à la complexité, il se fait un progrès de la confusion à l’ordre. Non-seulement les parties dissemblables se multiplient, mais on voit aussi s’accroître la netteté avec laquelle ces parties s’organisent en elles-mêmes et dans leur rapport avec