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qui, appliquées à d’autres momens de l’histoire, deviennent des préjugés à rebours, des préjugés rétrospectifs. M. Littré se moque spirituellement de cette manie des publicistes ignorans d’importer à tort et à travers le présent dans le passé et le passé dans le présent. Il dénonce le point de vue étroit du XVIIIe siècle, qui est resté celui de plusieurs de nos historiens ou de nos critiques, d’après lequel on s’enorgueillit, comme d’un mérite, de la supériorité de ses lumières, condamnant les époques antérieures à l’ignorance et à la barbarie, sauf quelques siècles de l’antiquité grecque ou latine. Il raille l’école révolutionnaire, pleine de haine et de dédain si injustes pour le moyen âge, et qui ne pourra sortir de l’état de polémique stérile et négative où elle se débat aujourd’hui « qu’en honorant comme il convient la période de domination du catholicisme, » en essayant de comprendre les raisons qui ont rendu la féodalité nécessaire, les mêmes au fond que celles qui la rendent impossible aujourd’hui. C’est là un principe véritablement scientifique d’impartialité, un élément désormais acquis dans les théories sérieuses du progrès.

MM. Buckle et W. Bagehot se rattachent par plus d’un point à l’école positiviste. l’Histoire de la civilisation en Angleterre a été ici même analysée[1], et, bien que cet intéressant travail ait été fait à un point de vue un peu différent du nôtre, la tâche s’en trouve pour nous singulièrement simplifiée. Les cinq premiers chapitres de l’ouvrage contiennent toute la théorie philosophique de M. Buckle, et d’abord la démonstration de ce principe que la suite de l’histoire est soumise à des lois générales qu’il est possible de découvrir. Ce principe, nous le connaissons déjà c’est le déterminisme. Les actions de l’homme se produisent avec la régularité des autres phénomènes, c’est-à-dire qu’elles sont des phénomènes naturels : sans cela, il faudrait admettre qu’elles procèdent du hasard ou d’une intervention surnaturelle, ou du libre arbitre, trois conceptions complètement condamnées, nous dit-on, et qui n’ont servi jusqu’à présent qu’à empêcher la science historique de se former. Les actions humaines, n’étant ni arbitraires, ni libres, ni asservies par un agent supérieur, ne dépendent que de leurs antécédens ; dès lors elles doivent présenter ce caractère d’uniformité qui constitue précisément l’essence de la loi. Étant données les mêmes circonstances, les mêmes résultats doivent se produire, — ce qui permet d’une part la détermination des lois historiques, que l’on déclare impossible sans cela, d’autre part la prévision certaine de l’avenir, qui deviendra possible quand toutes les circonstances seront connues, c’est-à-dire quand tous les élémens du calcul nous seront donnés.

  1. Le positivisme dans l’histoire, par M. Étienne, 15 mars 1868,