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besoins qu’ils en ont ; comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver, et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. » Jamais on n’a traité plus magnifiquement la raison de l’homme, jamais on ne l’a plus dignement affranchie du parallèle, déjà fort à la mode, avec l’instinct des animaux. Remarquez cette définition de la vérité, qui doit toujours avoir l’avantage, même nouvellement découverte, puisqu’elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu’on en a eues. Quel noble enthousiasme pour l’indépendance légitime de l’esprit humain, quel fier sentiment de sa grandeur, de sa fécondité inépuisable, de ses inventions, qui peuvent être tout ensemble sans fin et sans interruption ! Quoique restreinte « aux sujets qui tombent sous le sens ou sous le raisonnement, » la théorie du progrès est déjà là exprimée avec une hardiesse rare et une largeur d’intuition incomparable. Le germe, désormais impérissable, est déposé dans la conscience humaine. Nous verrons croître la moisson prochaine avec une exubérance et des mélanges de bon grain et d’ivraie, d’utiles et grandes vérités confondues avec des chimères funestes ou folles. Et plus tard, dans la suite des âges, en voyant des aspirations perverses usurper le nom du progrès et remplir de sang et de crimes le sillon entr’ouvert par la main d’un Pascal, nous penserons à l’indignation superbe qu’il aurait ressentie en voyant déshonorer son œuvre, à la colère de ce fier génie, à l’immortel stigmate qu’il aurait imprimé au front des histrions sanglans, profanateurs de son idée.

Le progrès scientifique n’est qu’une partie du progrès humain, mais c’en est peut-être la partie la plus incontestable, la plus authentique ; il est tout naturel qu’elle ait été découverte et proclamée la première. On retrouverait dans Descartes plusieurs passages où se révèle clairement la même foi dans la perpétuité de l’œuvre humaine. Quant à Leibniz, on peut dire, sans qu’on trouve chez lui une théorie organique du progrès, que toute sa philosophie y conspire soit par la doctrine de l’optimisme, soit par celle des monades et de leur vivante harmonie, où chaque activité a sa place marquée, sa collaboration définie, sa part à réaliser dans le mouvement universel d’ascension qui entraîne le dernier des êtres comme le système entier des mondes vers la monade infinie. — Fontenelle reprend la pensée de Pascal en y ajoutant un trait d’esprit : « nous autres modernes, nous sommes supérieurs aux anciens, car, étant