Le progrès est un de ces mots vagues qui disent tout et ne disent rien : ce qui ne signifie pas que ce soient des mots innocens ; ils peuvent faire beaucoup de bien ou de mal dans le monde, selon l’interprétation qu’on leur donne. Nom sublime et profané, redoutable et fascinateur, doué d’un singulier prestige et d’une force d’entraînement presque irrésistible, le progrès est l’invocation suprême des sectes et des partis, le mot d’ordre de toutes les batailles d’idée ou de rue. Il a été le ferment des plus nobles passions, il est la parure et l’excuse des plus mauvaises. On le voit également proclamé par les héros ou les martyrs et par des charlatans sinistres dont la carrière est d’exploiter la sottise humaine.
Mais d’abord, avant de se battre pour un mot, il est bon que l’on sache si ce mot répond à une idée réelle. Le progrès existe-t-il ? Et s’il existe, qu’est-il ? Est-ce cette force occulte, cette force des choses que l’on imagine souvent, qui grandit les individus et les nations avec leur concours, s’ils s’y prêtent, malgré eux et sans eux, s’ils refusent d’y concourir ? Est-ce une sorte de fatalisme du bien qui