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les populations françaises du Bas-Canada. Si quelque chose est contre nature, c’est qu’un chrétien ne s’intéresse pas à son église, c’est qu’il y soit comme un étranger. Laissez-lui le droit d’agir, et vous verrez en tous pays ce qui se passe en Amérique. Partout où s’établit le pionnier américain, il apporte avec lui l’église, l’école, le journal et la banque : ce sont les quatre élémens de toute société chrétienne qui vit de son travail ; ils sortent de terre, pourvu, qu’on ne les écrase pas. Que peut faire l’état, avec sa lourde main, sinon gêner ou étouffer une floraison naturelle qui ne demande que le soleil de la liberté ? Quand donc comprendrons-nous que l’état ne peut ni prier, ni aimer, ni agir pour nous, et que le seul rôle qui lui appartienne, c’est de garantir par de justes lois l’indépendance du fidèle et du citoyen ?


IV

Le grand mérite du régime américain, mérite qui frappera surtout les politiques qui ont étudié l’histoire, c’est qu’aux États-Unis on ne connaît point ces questions mixtes qui, depuis tant de siècles, font le désespoir des jurisconsultes et des canonistes. En théorie, rien de plus raisonnable que de régler en commun les questions qui intéressent à la fois l’église et l’état : établissement de nouveaux diocèses, nomination des évêques, traitement du clergé, mariages, écoles, hospices, cimetières, processions, etc. En fait, on n’a jamais pu s’entendre, l’église et l’état tirant chacun de son côté, et le plus fort opprimant le plus faible, sans que jamais on ait pu arriver à un accord durable. Les pragmatiques sanctions, les concordats, les traités n’ont satisfait personne. Plus hardis et plus sages, les Américains ont tranché dans le vif : ils ont fait largement la part de l’église ; mais du même coup ils ont sécularisé l’état, de façon à n’y plus revenir. C’est sur l’indépendance mutuelle des deux puissances qu’ils ont établi cette paix définitive que l’ancien monde a vainement poursuivie depuis Constantin, et qui aujourd’hui semble plus éloignée que jamais.

Toutefois il faut se garder de prêter aux Américains des sentimens qu’ils n’ont point. On parle beaucoup des écoles communales, qui sont la force et la gloire du peuple des États-Unis ; on dit que ces écoles sont laïques, on a raison de le dire, seulement il faut s’entendre sur le sens de ce mot. En France, il existe un parti qui voudrait bannir de l’école l’idée et le nom même de Dieu ; cette exclusion constituerait l’enseignement laïque. Jamais pareille pensée n’est entrée dans le cœur d’un Américain. Là-bas il n’est pas un homme politique qui ne déclare hautement que le christianisme est