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I

Depuis le jour où Constantin, pour s’emparer de la force nouvelle qui l’avait porté au pouvoir, ne trouva rien de mieux que de faire entrer le christianisme dans le cadre impérial et se fit à la fois grand pontife des païens et évêque extérieur des catholiques, l’union de l’église et de l’état a été la loi des peuples chrétiens. La religion et la politique se sont fondues ensemble ; l’hérésie est devenue un crime, le prince a mis au service de l’orthodoxie ses soldats et ses bourreaux.

Le résultat de cette alliance n’a été favorable ni à la civilisation, ni à l’état, ni à la religion. Dès qu’on impose aux sujets une règle de foi, il ne suffit pas de punir comme des coupables ceux qui s’écartent du symbole officiel, il faut encore prévenir le mal en empêchant l’hérésie de naître ; en d’autres termes, pour que rien ne trouble les consciences, il est nécessaire de régenter la science et de comprimer la pensée. La domination d’une église établie a toujours eu pour effet de gêner et d’amoindrir l’esprit de recherche, et par cela même d’affaiblir le génie national, — témoin le rapide déclin de l’Espagne et de l’Italie au XVIIe siècle, tandis que des pays divisés par l’hérésie, tels que la Hollande et l’Angleterre, montaient au premier rang. L’orthodoxie ne peut remplacer la liberté.

L’état du moins gagne-t-il quelque chose à cette union ? Non. Toutes les fois qu’une église a part au gouvernement, elle prétend dominer l’état et le traiter en subordonné, il ne lui suffit pas d’imposer ses dogmes et sa discipline, il lui faut la haute main sur les institutions qui intéressent plus ou moins directement la conscience. Le mariage, les sépultures, l’état civil tout entier, lui appartiennent en vertu du sacrement ; l’école est à elle, c’est là qu’on forme les âmes à la piété ; la presse ne peut lui échapper, c’est le berceau de l’hérésie. En deux mots, comme au point de vue religieux la société tout entière est du domaine de l’église, il n’y a pas de raison pour qu’elle lui échappe politiquement le jour où l’église et l’état ne font qu’un. Nos rois, il est vrai, ont résisté à cet envahissement ; ils ont cherché à séculariser la puissance publique ; mais que de conflits pénibles ! que de forces perdues ! Du XVe au XVIIIe siècle, il ne se passe pas vingt ans sans quelques difficultés avec les évêques : je ne parle point des querelles avec Rome, c’est le fonds de notre histoire. Si la vieille France n’est pas devenue le jouet de la curie romaine, le mérite en est aux parlement et à ces gallicans qui ont lutté contre les prétentions ultramontaines avec une érudition, un courage, un patriotisme que l’ingratitude de leurs arrière-neveux ne peut pas faire oublier.