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pleine d’abandon : « remettre sur le tapis d’ici à peu de temps la question de la réforme germanique assaisonnée d’un parlement allemand. Avec une pareille proposition et avec le parlement, provoquer un sens dessus dessous qui ne tardera pas à mettre la Prusse en face de l’Autriche. La Prusse est décidée à faire alors la guerre et l’Europe ne pourrait s’y opposer, car il s’agirait d’une question pleine de grandeur, la question nationale… » Et voilà comment on prépare une guerre sous le drapeau du principe de la nationalité !

L’Italie avait son rôle dans ce plan en apparence un peu compliqué. Le général Govone était à Berlin déjà pour définir et préciser ce rôle. M. de Bismarck, il est vrai, avait un langage assez léger à l’égard de l’Italie. Il ne lui cachait pas qu’elle avait une mauvaise réputation à la cour de Prusse, qu’on la voyait toujours sous la figure de Mazzini ou de Garibaldi. Lui, il n’avait pas de ces scrupules, il ne demandait pas mieux que de traiter, avec la confiance d’amener le roi à sanctionner ce qu’il aurait fait. Au fond, M. de Bismarck espérait avoir, par l’alliance de l’Italie, tout au moins la neutralité de la France, informée de la négociation ; de plus il comptait, en liant dès ce moment les Italiens, couper court à toute tentative d’arrangement direct au sujet de la Vénétie, et se servir du traité qu’il signerait pour peser sur le cabinet de Vienne, pour l’amener peut-être à merci sans recourir aux armes. Naturellement M. de Bismarck, en enchaînant l’Italie, se proposait de s’engager lui-même le moins possible. Très décidé sur le principe de l’alliance, il restait évasif sur les termes, sur la durée et la portée des engagemens. L’Italie, de son côté, devenait pressante, ne pouvant ni ne voulant accepter une situation si équivoque, et de là sortait enfin le traité du 8 avril, stipulant une « alliance offensive et défensive » pour trois mois. Ainsi le traité est signé, tout est bien entendu. Qu’arrive-t-il cependant ? L’Autriche, voyant l’orage se former de toutes parts, au nord et au midi, se tourne d’abord vers l’Italie, qu’elle commence à menacer ; l’Italie se tourne vers la Prusse pour lui demander de se mettre en mesure de remplir ses obligations, et le général Govone reçoit de M. de Bismarck cette étonnante réponse : « nous ne donnons pas au traité du 8 avril l’interprétation qu’il oblige la Prusse à déclarer la guerre à l’Autriche, si elle se trouve en lutte avec l’Italie ; nous croyons que cette obligation existe seulement pour l’Italie… » L’Ambassadeur d’Angleterre, lord Loftus, pouvait bien dire quelques jours auparavant au général Govone que « l’Italie devait se garder de s’engager avec la Prusse, parce qu’elle serait abandonnée au premier moment opportun. » Les événemens emportaient ces divergences d’interprétation, qui prouvent toutefois comment la Prusse entendait ses engagemens avec l’Italie.

Quel est le rôle de la France pendant ces négociations obscures ? Ah ! c’est ici un épisode qui n’est pas moins curieux et qui est bien plus triste que les agitations, les calculs et les subterfuges du ministre