Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est à s’agiter dans le vide, à s’épuiser en commentaires, en interprétations sur un événement qu’on s’efforce de présenter comme le point de départ d’une transformation politique, et en définitive que sait-on ? Absolument rien. Nous nous trompons ; on sait que deux députés, M. de Sugny et M. Merveilleux-Duvignaux, sont allés récemment à Frohsdorf, et même qu’ils en sont revenus après avoir eu avec M. le comte de Chambord deux conférences dont ils ont dressé le protocole pour le faire arriver à la France par la voie du Times. On sait qu’il y a eu depuis à Versailles une réunion de représentans de la droite et du centre droit qui ont été complètement édifiés, qui se sont trouvés en parfait accord, et qui ont fait le serment solennel de garder le secret de cet accord plein de promesses. Franchement, que veut dire tout cela ? M. de Sugny et M. Merveilleux-Duvignaux étaient-ils les délégués autorisés d’une fraction de l’assemblée ? Quels éclaircissemens ont-ils rapportés de leur voyage ? D’après le protocole du Times, M. le comte de Chambord aurait laissé comprendre qu’on pourrait revenir à la charte de 1814 en l’appropriant aux nécessités du temps. Lorsqu’on lui a parlé des dispositions de l’assemblée au sujet du drapeau, il aurait répondu, — quoi ? — Qu’a donc répondu le prince ? C’est là ce qu’il y a de plus curieux, il se pourrait qu’il eût dit oui et non. Lorsqu’on lui a donné à entendre que l’assemblée ne rétablirait pas la monarchie sans le drapeau tricolore, M. le comte de Chambord, selon une version, aurait répondu qu’il le savait, et selon une autre version il aurait dit qu’il ne savait pas cela. Voilà qui devient clair et qui nous instruit singulièrement sur les résultats de la mission des deux diplomates volontaires qui sont allés à Frohsdorf, et sur les conditions du rétablissement de la royauté. Là-dessus arrivent les commentaires des journaux légitimistes, qui ajoutent naturellement à la clarté ou, si l’on veut, à l’obscurité des choses. — Que parle-t-on de monarchie constitutionnelle, lorsqu’il s’agit de la monarchie traditionnelle ? Des explications, des conditions, il ne peut être question de tout cela ; le roi ne peut traiter en exil, hors de France. Qu’on rappelle le roi d’abord, et, lorsqu’il sera sur son trône, il traitera librement, avec autorité. Fort bien. Cela veut dire qu’après cela, si on ne s’entend pas, il ne restera qu’à se soumettre ou à faire une révolution. Cela veut dire encore que ce qu’on demande, après l’abdication de la monarchie de 1830, c’est l’abdication du pays lui-même, afin que la royauté, telle qu’on la rêve, apparaisse dans sa majesté et dans sa liberté !

Chose étrange ! on parle souvent de 1814 et on n’étudie guère ce temps-là on semble même ne pas comprendre toutes les différences qu’il y a entre cette époque et le moment où nous vivons. En 1814, tout en vérité était relativement facile. L’empire tombait au milieu de ses défaites et ne pouvait se relever. La république n’existait pas ; personne n’y songeait. Les princes de Bourbon déjà présens en France apparaissaient comme les seuls représentans d’un pouvoir possible. L’Europe