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La
branche de lilas

Quand après une période d’expansion et d’éclat le roman semble se recueillir chez nous pour prendre sans doute un nouvel essor, n’est-ce pas une obligation de plus de rechercher si les littératures étrangères sont plus favorisées que la nôtre aujourd’hui ? Ce n’est pas que la fécondité leur manque, ni que le bruit et le retentissement fassent défaut autour de certains noms. Les succès de la femme distinguée qui se cache sous le pseudonyme de Ouida nous avaient même inquiétés d’abord par leur étonnante rapidité, et il nous semble encore qu’ils ont devancé l’entière éclosion d’un talent qui, après avoir flotté indécis pendant plusieurs années, vient enfin de trouver sa voie ; le recueil que nous avons sous les yeux en est un témoignage évident[1]. Il est supérieur à ce roman de Puck, dont M. Forgues a tiré déjà deux jolis tableaux de mœurs anglaises[2], supérieur surtout à ces premiers romans, Strathmore, Chandos, Under two flags, où la vivacité de l’invention ne suffisait pas à racheter l’invraisemblance des événemens, des hardiesses d’un goût douteux et une violence de pinceau qu’on aurait tort de confondre avec l’énergie. Ouida n’a jamais été de ces romanciers, nombreux en Angleterre, dont les œuvres peuvent être mises dans toutes les mains. Elle scandalise ses compatriotes par des audaces dont ils n’ont pas l’habitude. Certes les Dickens et les Thackeray, auxquels on l’accuse de se croire supérieure, eussent hésité devant les sujets qu’elle choisit volontiers ; on va jusqu’à lui attribuer cette réponse caractéristique faite à ceux qui la blâmaient d’alarmer ses chastes lectrices par le dédain du mariage et par des peintures trop vives des entraînemens du cœur ou trop indulgentes des faiblesses masculines : « Je n’écris pas pour les

  1. A Leaf in the Storm and other Stories, par Ouida ; Londres 1872.
  2. Lady Tattersall, 15 janvier 1868 ; Jaune ou Bleu, 15 avril 1868.