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raconte qu’après avoir rencontré dans un désert les deux larrons, Titus et Dumachus, qui devaient être plus tard crucifiés à côté de Jésus-Christ et dont l’un était destiné à le précéder au ciel, Joseph, Marie et le fils de Dieu « vinrent ensuite à un sycomore que l’on appelle aujourd’hui matarea ; le seigneur Jésus fit paraître en cet endroit une fontaine où Marie lava sa tunique, et le baume que produit le pays vient de la sueur qui coula des membres du Seigneur Jésus. »

M. Bida sait bien que le matarea de l’Évangile de l’enfance se nomme aujourd’hui malaryeh et que le jardin consacré par le souvenir du repos en Égypte est à la porte d’Aïn-Chems, qui est l’ancienne Héliopolis. Il sait que ce jardin appartient aux coptes ; il y a vu le fameux sycomore dont les branches disparaissent sous les chapelets suspendus et dont le tronc luisant est couvert d’inscriptions gravées par les pèlerins. Selon Vansleb, curé de Fontainebleau, qui visita la Palestine et l’Égypte vers la fin du XVIIe siècle, l’arbre du repos serait mort et tombé de vieillesse en 1656, et celui que les fidèles vont littéralement adorer aujourd’hui n’en serait que le successeur. A Noël, les chrétiens du pays viennent en grande pompe y faire des prières. L’arbre en lui-même est fort beau[1] énorme, environné par le ruisseau jailli miraculeusement à la volonté de Jésus, et il est d’une forme qui était faite pour inspirer un artiste. M. Bida a résisté aux sollicitations que devait faire naître en lui l’envie de rendre la sincérité d’un site presque historique, toujours altéré par les peintres : il a bien fait ; le texte même lui défendait d’écouter les traditions parasites qu’une foi trop crédule ou trop naïve a greffées sur l’orthodoxie acceptée. C’est ainsi qu’il s’est refusé le facile plaisir de composer à son tour une de ces madones tenant l’enfant entre ses bras et qui le plus souvent, — même pour les plus grands artistes, pour Raphaël, pour André del Sarto, — n’étaient que la reproduction idéalisée d’une scène familière, comme on en voit dans tous les ménages.

Ce n’est pas que M. Bida ne sache cependant donner aux femmes toute la douceur, toute la grâce dont elles sont parfois susceptibles ; plusieurs de ses dessins affirment que l’expression multiple des visages féminins n’a plus de secret pour lui. Dans Jésus chez Marthe et Marie, dans la Chananéenne, dans le Fils de la veuve de Naïm, il s’élève très haut en faisant de la femme le personnage important

  1. L’arbre dont il est ici question n’a rien de commun avec celui auquel nous donnons le même nom, et qui est une sorte d’érable à feuillage de platane (acer pseudo-platanus). Le sycomore d’Égypte (ficus sycomorus) est un figuier ; son bois, fort recherché par les anciens Égyptiens, qui lui attribuaient des vertus presque fabuleuses, était regardé comme incorruptible et employé de préférence à la confection des cercueils destinés à contenir les momies des personnages importans.