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affirmer que, si Jésus avait traversé sa vie terrestre sous l’astre éclatant dont son front est illuminé aujourd’hui, l’humanité entière l’eût reconnu Dieu et se fût prosternée à ses pieds. Si le nimbe est descendu sur lui, c’est lorsque son pèlerinage était déjà terminé, c’est au moment où sur la croix, inclinant la tête, il expira.

A voir l’œuvre de M. Bida, on ne peut du reste concevoir aucun doute sur ses croyances : c’est un fervent ; il a la foi, la foi enviable, la foi du charbonnier, qui accepte et ne discute pas. Les travaux des écrivains modernes qui ont repris l’histoire de Jésus-Christ et ont infirmé la légende ne l’ont pas ébranlé. Parlant du fils de Marie, il dirait volontiers : je l’appelle mon Dieu. Cela éclate dans chacune des scènes que l’artiste a reproduites. La plupart des peintres faisant acte d’artisans n’ont compris Jésus que très imparfaitement ; dans l’homme, ils ont vu le héros ; dans le Dieu, ils ont vu le thaumaturge ; M. Bida, lui, a vu Dieu. Son personnage est très simple, sans emphase ; l’essence divine étant la bonté et l’intelligence même, il est très intelligent et très bon : le nimbe qui le signale est plutôt l’effet du rayonnement interne qu’une lueur étrangère ; il passe, il regarde, il guérit, non pour étonner les hommes, les convaincre ou s’en faire admirer, mais naturellement, parce qu’il est Dieu et ne peut faire autrement. C’est à ce point de vue à la fois très exclusif et très grandiose qu’il est nécessaire de se placer, si l’on veut apprécier sainement le beau travail de M. Bida : toute idée de critique philosophique doit être laissée de côté ; il faut regarder à travers les rayons de la foi.

Le charme des compositions est extrême ; elles ont toutes quelque chose de féminin, au sens exquis de ce mot, lorsqu’il signifie la grâce. Les âmes vraiment artistes, — et elles sont rares, — vibrent à la moindre commotion, comme ces arbustes d’Orient qui semblent animés et dégagent un parfum plus pénétrant aussitôt qu’on les touche. Une phrase, une parole, en apparence insignifiante, suffisent pour faire jaillir l’inspiration. Dans le dernier entretien avec les disciples, quand déjà l’heure d’amertume est près de sonner, Jésus dit : « Lorsqu’une femme a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa souffrance parce qu’elle a mis un homme au monde. » (Saint Jean, XVI, 21. ) de simple texte, qui eût passé inaperçu pour tant d’autres, fournit à M. Bida le sujet d’un très beau dessin. La tête pressée par le bandeau oriental, qui retient le voile cachant les cheveux rasés, — comme le prescrivent les rites israélites, — la face pâlie, mais rayonnante de joie, la mère, assise sur le lit, serre dans ses bras le nouveau-né, faible, nu, fermant encore ses yeux à la lumière, qui l’éblouit pour la première fois ; vers elle se penche l’époux, déjà âgé, ému, contemplant avec un recueillement sérieux le petit être qui lui prouve que le Seigneur a béni sa maison. Une