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II.

Cette question rentre dans un problème plus vaste, qui consiste à chercher si l’instinct et l’intelligence ne sont que les deux formes extrêmes d’une seule et même énergie mentale. Les plus pénétrans esprits, les plus fins observateurs de l’antiquité et des temps modernes, Aristote et Buffon, Plutarque et Montaigne, et parmi nos contemporains F. Cuvier, Flourens, Gratiolet, MM. E. Blanchard, Milne Edwards, Pouchet, Brehm, l’ont agité. Pourquoi n’en a-t-on pas trouvé la solution définitive? C’est qu’il n’existe pas de problème plus complexe. M. Darwin, qui l’a repris avec tant de savoir, de curiosité et de bonne foi, en a-t-il mûrement pesé les difficultés, compris et dégagé la méthode, aperçu et compté les conditions?

De ces conditions, la première évidemment était d’instituer dès le début une analyse minutieuse des facultés mentales que l’animal, dit-on, possède comme nous, mais seulement avec de grandes et très nombreuses différences de degré. Il était indispensable, avant de comparer, de placer en pleine lumière les termes de la comparaison. Pour avoir le droit d’identifier l’instinct et l’intelligence, pour être autorisé à élever l’instinct à la hauteur du sentiment et du jugement esthétique, la méthode commandait d’observer et d’analyser séparément l’intelligence et l’instinct. M. Darwin s’est dispensé de cette obligation, ou plutôt il semble ne l’avoir pas sentie. Il déclare qu’il n’entreprendra point de définir l’instinct, parce que, selon lui, l’instinct ne présente pas de ces caractères constans sur lesquels s’appuie la définition. Il se contente d’affirmer que l’instinct enveloppe toujours une part d’intelligence sans chercher à dégager cet élément intellectuel, et sans se douter que là est le nœud de la question. La distinction des facultés diverses de l’esprit ne le préoccupe pas davantage; il les caractérise à peu près, vaguement, si vaguement que plus d’une fois il confond le raisonnement et la raison. Enfin, quoique le sentiment du beau joue dans sa doctrine un rôle capital, nulle part il n’a pris la peine d’approfondir l’essence de ce pouvoir si délicat de l’âme; nulle part il ne s’est demandé si le sentiment du beau n’est qu’une sensation, s’il est précédé d’une idée, s’il aboutit à un jugement. De l’aveu même de ses partisans, sa psychologie est étonnamment faible et superficielle, — et c’est sur cette base incertaine qu’il a construit tout son édifice de la sélection sexuelle; c’est dans un brouillard qu’il prétend nous faire voir l’identité primordiale de l’intelligence et de l’instinct.

L’observation attentive, exempte de parti-pris, indépendante d’une théorie préconçue, arrive à d’autres conclusions. Elle reconnaît que