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pas. La curiosité est satisfaite d’apprendre que le gorille mâle a une voix effrayante, qu’un gibbon a la faculté remarquable d’émettre la série complète et correcte des notes musicales d’une octave ; mais quel est au juste l’élément esthétique à dégager de ces observations? On ne le dit pas. Bien plus, après s’être demandé si les singes les plus bruyans et les plus babillards ont acquis leur voix puissante pour supplanter leurs rivaux et séduire les femelles, M. Darwin avoue qu’il ne prétend point en décider, et qu’il se borne à considérer cette conclusion comme la plus probable; — encore un point où le système faiblit. Il se relève un peu, nous en convenons, à l’endroit où il est traité des ornemens des mammifères, des houppes, des barbes, des chevelures qui les décorent, des couleurs souvent brillantes dont sont teints leur poil et les parties nues de leur corps. Que ces coiffures naturelles, que ces touffes lisses ou frisées, que ces favoris abondans, remarquables surtout chez certaines espèces de singes, soient en vue de la protection ou de la défense, on ne peut le soutenir. D’autre part, ces villosités sont le privilège des mâles, tandis que les femelles en sont dépourvues, et l’abondante croissance de ces poils coïncide avec l’âge adulte et signale le moment de la reproduction. Par conséquent, dans la plupart des cas, et particulièrement sur la robe des antilopes et des singes, il y a lieu d’induire que les touffes de poils ont été acquises pour l’ornementation. Selon toute probabilité, les mâles ainsi ornés ont été préférés par les femelles, et les appendices velus se sont accrus de plus en plus par voie de sélection. Il a dû en être de même de la nuance des poils et des couleurs de la peau nue. On a fréquemment noté que le mâle est plus fortement et plus richement coloré que la femelle. Les ruminans en offrent des exemples curieux. Dans la magnifique antilope appelée oréas derbianus, le corps est plus rouge, le cou plus noir, la bande blanche intermédiaire plus large chez le mâle. Le cerf axis, à l’âge adulte, est superbement coloré et moucheté. Parmi les quadrumanes, les cercopithécus cynosurus et griseo-viridis offrent une coloration merveilleuse : une partie du corps, chez le mâle seulement, est d’un vert ou d’un bleu des plus éclatans, et contraste vivement avec la peau nue du bassin, qui est d’un rouge écarlate. Le mandrill mâle est vraiment sans pareil; son visage est d’un beau bleu, tandis qu’un rouge ardent dessine le contour du nez et en colore l’extrémité. Ce qui donne à ces faits une certaine portée, c’est que, d’après plusieurs naturalistes, les mammifères se montrent attentifs à la couleur de leurs congénères et à celle des animaux qui ne sont pas de leur espèce. L’éléphant africain et le rhinocéros attaquent avec fureur les chevaux blancs ou gris. Les étalons à demi sauvages recherchent les jumens de leur