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attendre, et c’est ainsi que, croyant tout concilier, l’intérêt de Paris, l’honneur de Belfort, la liberté de Bourbaki, il acceptait un article équivoque réservant une « entente ultérieure » sur les délimitations dans l’est, permettant aux Prussiens de continuer jusque-là les opérations militaires qu’ils avaient commencées, et leur laissant le temps d’accabler notre malheureuse armée. M. Jules Favre ne se rendait pas compte évidemment de ce qu’il acceptait, non plus que des conséquences possibles de ce délai de trois jours stipulé pour l’application de l’armistice en province. Il avait hâte de clore cette négociation, qui se prolongeait depuis le 23 et qui prenait encore toute la journée du 28. Ce n’est qu’à onze heures du soir qu’on arrivait enfin à trancher les dernières difficultés et qu’on signait sans plus de retard. « Je vois encore la scène, dit le général de Valdan : il y a eu un incident particulier. M. de Bismarck a dit à M. Jules Favre : — Avez-vous un cachet ? C’est l’habitude des chancelleries que, pour des actes de ce genre, il y ait apposition de cachets. — M. Jules Favre a répondu : — Je n’ai pas de cachet. — Il a tiré une bague. — Cela vous suffit-il ? — Oui, a dit M. de Bismarck. » Le sceau était digne de notre fortune du moment, il est resté au bas d’un des actes les plus douloureux de l’histoire de la France.

Assurément, si pénible, si dure qu’elle fût, cette œuvre de diplomatie désespérée aurait pu être plus cruelle encore. Telle qu’elle était, elle laissait à nos officiers leurs armes, à nos soldats leurs drapeaux et une liberté relative, à Paris l’honneur d’être respecté par l’ennemi au moins pour le moment, et M. de Moltke disait aux négociateurs français : « Vous vous plaignez toujours de conditions trop dures, moi je n’ose pas les dire à mon armée. » Cette convention du 28 janvier ne restait pas moins, sous le nom d’armistice, une capitulation véritable, à peine voilée et palliée par quelques atténuations de détail faites pour ménager l’orgueil de Paris. Ce qu’on avait pu obtenir, on le devait au désir qu’éprouvait l’ennemi lui-même d’arriver à une possibilité de paix par l’élection d’une assemblée, peut-être aussi un peu à cette idée que Paris n’était pas complètement à bout de vivres, qu’il pouvait tenir encore. Ce qu’on subissait était la rançon inévitable d’une situation poussée à la dernière extrémité. C’est presque une iniquité aujourd’hui d’oublier les circonstances dans lesquelles on avait à se débattre pour ne se souvenir que de ce qui manquait ou de ce qu’il y avait de trop dans l’œuvre du 28 janvier et des méprises du négociateur.

Non, quoi qu’il soit arrivé depuis, la faute de M. Jules Favre n’était pas de tenir à laisser la garde nationale armée lorsque le désarmement était impossible, lorsque cette faveur pouvait adoucir les colères, aider à faire accepter la capitulation. La faute du plénipotentiaire