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Au fond, M. Jules Favre, tout désarmé qu’il fût, trouvait une dernière force dans l’extrémité d’une situation si nouvelle pour tout le monde, faite pour intimider les plus audacieux, et dans le désir que M. de Bismarck lui-même devait avoir d’en finir. Quelles étaient donc les conditions débattues dans cette douloureuse négociation de cinq jours entre le représentant de l’Allemagne victorieuse et le plénipotentiaire de la ville réduite à s’avouer vaincue ? Un armistice général permettant à la France de nommer une assemblée pour décider de la paix ou de la guerre, la reddition de Paris et de toutes ses défenses, le ravitaillement comme conséquence de la reddition pendant l’armistice, sur ces premiers points il ne pouvait y avoir ni doute, ni même discussion sérieuse, puisque le traité n’avait pas d’autre raison d’être ; mais ce n’étaient là en quelque sorte que les principes généraux qu’il s’agissait d’interpréter, de réaliser par des conditions complémentaires réglant tous les détails de cette transaction poignante, et ici commençaient les vraies difficultés ; ici s’ouvrait cette lutte où tout ce qu’on pouvait obtenir de concessions était encore une amertume pour le vaincu. Les difficultés se concentraient en définitive sur trois ou quatre points essentiels, sur la contribution de guerre que Paris aurait à payer, sur l’occupation de la ville ou d’une partie de la ville par les Prussiens, sur le désarmement de la garde nationale, sur ce qu’on ferait de l’armée régulière. C’était là ce que contenait ce mot de reddition de Paris.

J’écarte la question d’argent, cette contribution de guerre que M. de Bismarck tout d’abord portait rondement à 1 milliard, en prétendant avec une indéfinissable ironie que la ville de Paris était « une personne trop puissante et trop riche pour que la rançon ne fût pas digne d’elle. » Le chancelier se donnait visiblement de la marge pour faire des concessions, il finissait par réduire le chiffre à 200 millions, sans soupçonner que M. Jules Favre avait l’autorisation d’aller jusqu’à 500 millions. Restaient les autres questions, bien autrement graves, bien autrement délicates. Les Prussiens entreraient-ils à Paris ? Assurément l’état-major de Versailles tenait à cette condition, il y voyait pour l’armée allemande le prix le plus légitime d’un immense effort, des combats qu’on avait livrés, des misères qu’on avait supportées. Le parti militaire, puissant autour du roi, réclamait vivement ce qu’il regardait comme son droit. M. Jules Favre résistait de son mieux, et il menaçait de se réfugier dans l’inertie du vaincu subissant la loi de la force, mais refusant de signer son humiliation. M. de Bismarck, qui prenait volontiers ou qui affectait de prendre un rôle de médiateur entre les exigences militaires de l’état-major allemand et les susceptibilités parisiennes, M. de Bismarck semblait assez préoccupé. Il n’éprouvait pas, bien entendu, le moindre respect pour l’inviolabilité de Paris. Il ne faisait