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tambours, jeux d’échecs et de cartes, faisaient partie d’une administration particulière : le Palais des jeux.

Cependant la Russie, qui commençait à entrer en rapports suivis avec l’Occident, qui envoyait et qui recevait des ambassadeurs, ne devait pas tarder à nous emprunter des plaisirs d’un goût plus pur. Likhatchof, envoyé du tsar à Florence, ne peut contenir son admiration quand il raconte comment il a été à la comédie, comment il y a vu des palais paraître et disparaître, la mer s’enfler sur la scène et fourmiller de poissons, des hommes chevaucher sur des monstres marins ou se promener dans les nuages, enfin toutes les merveilles de l’opéra italien. Le tsar Alexis était impatient de les voir réaliser chez lui. Il fit venir à Moscou quelques acteurs allemands, et, tant bien que mal, on organisa une salle de comédie en planches. En cette même année 1672, qui vit naître Pierre le Grand, naquit le théâtre russe. Ce furent d’abord les Allemands qui fournirent à la fois la pièce et les comédiens ; puis les Russes se mirent à l’œuvre, traduisirent des pièces polonaises ou allemandes, requirent des serfs et des gens du peuple pour apprendre le métier d’acteurs ; toutefois la pruderie moscovite ne se rendit pas sans quelque résistance. Alexis voulait bien voir des danseuses sur la scène, mais il n’entendait pas qu’on y fit de musique. C’était un péché, suivant lui. Il céda pourtant quand on lui eut expliqué que la musique était aussi nécessaire dans les ballets que les jambes mêmes des ballerines. Pour la tsarine et ses femmes, on construisit une espèce de loge grillée, pu plutôt fermée de planches comme une de nos baraques de foire. Elle regardait par les fentes. La plupart des pièces étaient tirées de la Bible. On joua devant Nathalie une Esther qui précédait ainsi de dix-sept ans l’apparition de la tragédie de Racine. On y voyait comment le tsar Assuérus ordonna de pendre le vrémianik Aman, sur la tchélobitié (pétition) de la tsarine Esther et les conseils de Mardochée. Nathalie, comme plus tard Mme de Maintenon, ne manqua point de prendre pour elle les allusions. Elle se voyait dans la modeste Juive ; le boïar Matvéef, à qui elle devait tout, était Mardochée ; Aman pouvait bien être le boïar Khitrovo, l’homme du moment précédent. Puis on aborda le Fils de Tobie ; les registres accusent une dépense de 30 roubles pour l’habillement des anges. On mit en scène Joseph et ses frères, le tsar Nabuchodonosor et les trois Hébreux, l’enfant prodigue (imprimé à Moscou en 1685 avec des planches), le tsar David et son fils Salomon le Sage, Judith et Holopherne. Ces pièces sacrées étaient assaisonnées de force plaisanteries ; ainsi au moment où Judith s’en retourne avec son trophée sanglant, sa servante s’écrie : « Voilà un pauvre homme qui sera bien étonné, quand il s’éveillera, de voir