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réservé aux princesses : on la confiait soit à la mère et aux sœurs du tsar, soit à ses propres parentes qui avaient dû l’accompagner, soit enfin à des femmes nobles et à des boïarines craignant Dieu. On plaçait sur sa chevelure de jeune fille une couronne comme en portaient les sœurs mêmes du prince. On lui donnait le titre de tsarévna. Les nobles et les serviteurs du palais venaient lui embrasser la croix, c’est-à-dire lui prêter serment. Elle était nommée dans les prières publiques parmi les membres de la famille impériale, mais sous un nom nouveau. Ici encore nous devons reconnaître une coutume byzantine : c’est ainsi que Lupicia, femme de Justin Ier, avait adopté le vocable moins malsonnant d’Euphémie, qu’Anastasie, mariée à Romain II, avait reçu du Porphyrogénète le nom flatteur de Théophano. Dans la Russie contemporaine, le changement de nom est d’ailleurs justifié le plus souvent par la nécessité de rebaptiser les princesses protestantes qui montent sur le trône orthodoxe. Au XVIe et au XVIIe siècle, il n’y avait pas lieu de renouveler le baptême des fiancées impériales : toutes étaient Russes et orthodoxes ; cependant, par le choix du prince, elles devenaient en quelque sorte d’autres personnes ; pour une existence nouvelle, il leur fallait un nouveau nom. Parfois même le père de la fiancée subissait le même changement : ainsi Harion Lapoukhine, père de la première épouse de Pierre le Grand, adopta le nom de Fédor.

Dans la monarchie absolue de Byzance, le mariage du maître amenait parfois des hôtes bien étranges dans le palais sacro-saint des empereurs. A Moscou également, c’était souvent de la plus humble situation qu’une belle fiancée s’élevait au rang des majestés. « Nous n’avons pas une souveraine bien chère, disaient de la femme de Michel Romanof ses chambellans : elle portait autrefois des bottes jaunes comme les paysannes ; maintenant Dieu l’a élevée ! .. » Maria Miloslavski, première épouse d’Alexis, était fille d’un homme en service chez un simple secrétaire d’ambassade et allait chercher des champignons dans le bois pour les vendre au marché. Sa seconde femme avait été reçue presque par charité chez le boïar Matvéef ; à Smolensk, on l’avait vue marcher en laptis, c’est-à-dire en grossières sandales d’écorces tressées. Ces impératrices, sorties parfois d’une pauvre chaumière, n’en faisaient pas moins bonne figure au palais du Kremlin. À cette époque, il n’y avait réellement que peu de différence entre le pauvre et le riche, entre fille noble et non noble. C’est le développement du luxe, l’éducation, l’instruction, le souci de la propreté, qui créent des différences entre les classes ; tout cela n’existait guère à cette époque. Le paysan libre ou le petit gentilhomme campagnard étaient à peine plus illettrés ou plus malpropres que le courtisan.